L'Ukraine va bien sûr prendre cette annonce au sérieux. Mais des semaines – probablement plutôt des mois – s'écouleront avant que cette décision ne produise des effets dans les zones de combat. L'Ukraine a complètement détruit de nombreuses voies de ravitaillement. Il faudra donc un certain temps avant que les réservistes et le nouveau matériel de guerre russes n'arrivent sur le front.
C'est particulièrement vrai pour la ville disputée de Kherson, dans le sud du pays. Les Russes pourraient progresser un peu plus rapidement à l'est. Mais beaucoup d’incertitudes demeureraient quant à la suite. De plus, les réservistes sont souvent des soldats âgés, qui n'ont pas été entraînés depuis longtemps.
Il ne sera pas non plus facile de doter autant de soldats en matériel de guerre.
Sur le papier, Moscou dispose certes d'une grande quantité de chars, de canons et de camions, mais la plupart d'entre eux sont vieux, mal entretenus ou en mauvais état.
Kiev a annoncé ce plan depuis longtemps, mais la plupart des gens en Occident ne l'ont pas pris au sérieux. Ils continuaient à croire à l'invincibilité de l'armée russe. De ce point de vue, il n'y a donc rien de nouveau. Les Ukrainiens sont toujours à l'offensive dans le nord du Donbass, mais ils avancent beaucoup plus lentement que lors de la percée près de Kharkiv et de la fuite de l'armée russe qui s'en est suivie.
L'offensive ukrainienne se poursuit également au sud, mais sans trop faire pression sur l’opposant. On attend plutôt que celui-ci, largement coupé de tout ravitaillement sur la rive occidentale du Dniepr, manque de munitions et de nourriture.
Kiev risquerait de perdre le soutien occidental. Ainsi, lors d'une précédente contre-offensive, les Ukrainiens ont déjà avancé jusqu'à la frontière sans la franchir.
Toutefois, les Ukrainiens ont déjà mené plusieurs attaques aériennes contre des dépôts pétroliers et des raffineries sur sol russe. Il faut encore ajouter que Moscou considère la péninsule de Crimée, occupée en violation du droit international, comme un territoire lui appartenant. Les Ukrainiens ne sont évidemment pas de cet avis – et les Etats-Unis ont eux aussi clairement fait savoir qu'ils considéraient les attaques contre la Crimée comme légitimes.
La Russie n'a jamais perdu une guerre lorsqu'il s'agit de défendre sa patrie. Les attaques de Napoléon et d'Hitler en sont de bons exemples. Les Ukrainiens le savent. Ils ne veulent certainement pas que les Russes se voient soudain comme des défenseurs sur leur propre territoire.
Une violation des frontières russes d'avant 2014 ne serait pas non plus appréciée à l'Ouest. L'Ukraine ne recevrait alors plus aucune aide de l'Europe et des Etats-Unis, ou beaucoup moins.
L'ambiance est très différente de celle qui régnait encore en juillet ou en mars, lors de mes deux derniers voyages. Désormais, de nombreux Ukrainiens croient sérieusement à une victoire sur la Russie, et les gens font donc la fête et envisagent l'avenir avec un peu plus d'optimisme. Mais ils savent également que, au vu des circonstances, un hiver rude se profile à l'horizon. Ici aussi, la population essaie de s'approvisionner en bois de chauffage et en poêles.
Comme je me trouvais en Ukraine et non de l’autre côté, je ne peux pas donner de réponse satisfaisante à cette question. La défaite de Kharkiv est en tout cas un sujet de discussion dans les médias, les émissions de télévision et sur les chaînes des reporters de guerre russes. On cherche des boucs émissaires.
La chanteuse et diva pop Alla Pougatcheva (elle ☝️), par exemple, icône de l'époque soviétique et qui est encore très populaire aujourd'hui, a récemment déclaré que la guerre avait fait du pays un paria. Elle a également plaidé pour la liberté d'expression et la «fin de la mort de nos jeunes pour des objectifs illusoires». Ce sont des propos remarquablement ouverts dans la Russie de Poutine.
Le général allemand Eberhard Zorn estime qu'il s'agit de contre-attaques isolées, difficile de dire d'où il tire ses informations. Moscou a perdu en peu de temps plus de 6000 kilomètres carrés de terrain ukrainien, il est donc difficile de ne pas voir derrière cela une offensive à large échelle.
Un autre général allemand s'est par ailleurs exprimé de manière diamétralement opposée. Selon lui, la contre-offensive ukrainienne fait figure d’exemple parfait, comme dans un manuel. Il est en revanche juste de mettre en garde contre une trop grande euphorie. L'Ukraine a remporté une bataille importante, mais pas encore la guerre.
Je n'ai encore rien remarqué moi-même, mais je ne suis rentré en Ukraine que récemment. Les médias sociaux rapportent que des drones kamikazes iraniens ont attaqué et détruit des radars et des positions de défense aérienne ukrainiens. Je n'ai toutefois pas encore pu confirmer ces succès de manière indépendante.
Si les Russes parviennent à faire des trous dans la défense aérienne ennemie avec des drones, Moscou pourrait à nouveau déployer sa force aérienne plus profondément. L'une des spécificités de cette guerre est en effet la quasi-absence de l'armée de l'air russe dans le ciel de l'Ukraine. (aargauerzeitung.ch)