C'était un moment aussi craint qu'attendu du procès de Sean Combs, alias P. Diddy, à New York. Après deux jours de témoignage cru, détaillé, parfois sordide de la part de son ex-compagne Casandra Ventura, «Cassie», sur les violences physiques, sexuelles et psychologiques qu'elle aurait subies pendant dix ans, le tour était venu aux avocats du rappeur d'entrer en scène.
Objectif? Cuisiner la témoin. Et la décrédibiliser tant que possible aux yeux du jury.
Détermination, concentration, malaise, indifférence? Impossible de savoir ce qui traverse l'esprit de l'avocate de P. Diddy, Teny Geragos, au moment de passer Cassie sur le grill. Dans tous les cas, faire face à une victime et ses proches reste un «moment difficile», admet Me Loïc Parein, avocat lausannois qui a notamment plaidé la cause de Claude D., en 2016.
Après le meurtre de son ex-petite amie en 1998, ce qui lui a valu une peine de 20 ans de prison, il avait été libéré sous surveillance en 2013. Il avait alors enlevé et assassiné Marie, une jeune femme de 19 ans, dans une forêt près de Châtonnaye (FR).
L'avocate lausannoise Véronique Fontana, qui a également pris la défense du meurtrier de Marie, admet que les contre-interrogatoires peuvent être des situations pénibles. «Certaines questions font pleurer la victime. Lors du procès de Claude D., on m’a dit que j’étais inhumaine», se souvient-elle.
«L’avocat de la défense essaie de faire que la justice soit moins injuste», poursuit-elle.
Reste que mettre en doute la parole de la victime et se montrer saillant dans l'interrogatoire n'a jamais été aussi difficile qu'à l'ère post-MeToo. C'est du moins le constat de Me Yaël Hayat.
«C'est clair que c'est peut-être plus délicat aujourd'hui», abonde Véronique Fontana. «Il est de plus en plus difficile de faire ébranler les déclarations de la victime. Même si son témoignage présente des contradictions, on jugera que c'est "normal" - maintenant qu'il y a des psychiatres pour expliquer certains comportements bizarres, incohérents ou inadéquats, par l'état de sidération ou d'autres mécanismes psychologiques.»
Face à la difficulté de remettre la parole de la partie civile en doute, Me Yaël Hayat ne cache pas son inquiétude.
L'avocate genevoise, également représentante de Claude D. aux côtés de Loïc Parein en 2016, déplore le renversement de la présomption d'innocence en matière d'affaire sexuelle. «Bien sûr qu'il faut se réjouir que la parole des plaignantes puisse être dite. Toute la question désormais est de savoir si elle peut être contredite», nuance-t-elle.
Parmi les craintes de l'avocate? Que la «victimisation secondaire» devienne un vaste autodafé des robes noires. Cette notion peu connue du grand public a été invoquée tout récemment dans le cadre du procès de Gérard Dépardieu. Outre une peine d'emprisonnement pour agression sexuelle, l'acteur a été condamné à payer des dommages et intérêts supplémentaires de 1000 euros aux deux plaignantes, en raison du contre-interrogatoire agressif mené par son avocat. Une première en France.
«Condamner un avocat ou son client dans l'exercice de la défense, c'est nier l'exercice-même de la défense», note l'avocate.
«Aujourd’hui, l’activité de l’avocat est davantage examiné sous l’angle de l’aspect éthique et déontologique», observe Loïc Parein. Par exemple, si la stratégie de défense de la «mini-jupe» («Elle portait une mini-jupe, donc elle n’a eu que ce qu’elle méritait») appartient heureusement au passé, des affaires comme celles de Dépardieu et de P. Diddy montrent que «la limite est encore en train d’évoluer».
Me Véronique Fontana pointe un autre problème.
D'ailleurs, il est de plus en plus rare de lire dans la presse le terme complet de «victime supposée» - qui est le cas de chaque partie plaignante avant que le verdict ne soit rendu. Un raccourci révélateur?
Exercice source de polémiques, décrié et critiqué... Le contre-interrogatoire n'en reste pas moins nécessaire. Sans lui, pas de défense possible. «On a le droit de contre-interroger une victime, sa parole n’est pas sacrée», confirme Loïc Parein. Avant de formuler un questionnement à voix haute:
Face à cette question épineuse et dont les contours divergent dans chaque procès, Véronique Fontana détaille sa manière de procéder. Il y a d'abord tout le travail de «Sherlock Holmes» effectué avant l'audience. Eplucher les procès-verbaux, les auditions, les constations médicales, les preuves, les versions, afin de trouver la «faille» du dossier qui permettra de décrédibiliser la partie plaignante.
«Mais si, évidemment, le témoignage de la partie civile est béton, c'est plus difficile», concède Me Fontana. Il est souvent nécessaire d'attendre l'audience et d'avoir la victime supposée devant soi. Après quoi, «il faut analyser comment elle se comporte, si elle est très affectée ou non, sentir jusqu'où on peut aller», explique l'avocate lausannoise.
«Questionner la parole, mettre en relief», complète Me Yaël Hayat. «Tout ce que le dossier permet de soutenir doit être soutenu sans euphémiser le propos, par faiblesse ou par crainte de déplaire. La liberté de défendre ne doit être bornée que par le serment prêté qui abrite des gardes fous, comme celui de la dignité ou de la conscience.»
«L’avocat exerce son métier en conscience. C’est lui qui décide où se situent les limites de son engagement», rappelle Loïc Parein, qui précise qu'il existe, en Suisse, des règles professionnelles pour empêcher les avocats de tomber trop loin dans la provocation lorsqu'il s'agit du contre-interrogatoire.
Dans tous les cas, se trouver face à une victime ou sa famille reste «inconfortable». Mais Loïc Parein perçoit dans cet inconfort une manière de se contenir et de mener à bien le contre-interrogatoire.
«Je veux finir chaque plaidoirie en me disant que je n’ai pas à rougir et que j’assume ce que j'ai dit, que c’était un exercice contrôlé», poursuit l'avocat lausannois. «N'avoir rien dit qui aille au-delà de la défense raisonnable des intérêts du client à présenter sa version des choses.»
«Au siècle des Lumières, au pays de Voltaire, on vouait un culte à la liberté de l'avocat», regrette Yaël Hayat. Avant de conclure sur une question: «Sommes nous désormais entrés dans l'ère du crépuscule?»