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Face aux menaces de Poutine, les Ukrainiens organisent une orgie

Face aux menaces de Poutine, les Ukrainiens organisent une orgie géante

Face à la menace nucléaire tant redoutée, l'appel des pacifistes ukrainiens à une partouze sur les hauteurs de Kiev est peut-être la seule réponse possible pour contrer l'angoisse.
20.11.2022, 08:01
Christian Salmon / slate
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Alors que les menaces d'une frappe nucléaire russe en Ukraine ont gagné en crédibilité depuis que le New York Times a révélé que les généraux russes étudiaient les différents scénarios possibles d'une telle frappe, les Ukrainiens se préparent au pire. Les autorités distribuent des comprimés d'iodure de potassium. A Kiev, le conseil municipal a mis à disposition des abris et des centres d'évacuation. Mais la réponse des Ukrainiens ne se limite pas à ces mesures défensives de bon sens.

Elle prend parfois des formes inattendues. A la mi-octobre, un groupe Telegram a proposé d'organiser une orgie sur la colline Chtchekavitsa, à l'extérieur de la capitale ukrainienne, raconte Vice.

Grande fêtedu sexe

Contrevenant aux consignes de sécurité des autorités, les organisateurs de cette manifestation appellent les habitants de Kiev à délaisser les abris atomiques et les bunkers pour se rendre à une «grande fête du sexe» en cas d'attaque nucléaire. Près de 15 000 Ukrainiens se sont déjà inscrits à cette méga-partouze à mi-chemin entre Woodstock et Tchernobyl. L'initiative a fait des émules: une «fête du sexe» est aussi prévue dans la rue Derybasivska, à Odessa.

Sur le groupe «Orgy on Shchekavystsa: Official», on trouve des consignes à respecter et un protocole d'identification pour le jour J de l'orgie. Les adeptes du sexe anal sont invités à dessiner trois bandes sur leurs mains, les partisans du sexe oral quatre, etc.

«Paix et partouze»

En écho au vieux slogan des opposants à la guerre du Vietnam, «Faites l'amour, pas la guerre», les organisateurs proposent de déployer l'arme du sexe contre l'arme nucléaire: «Paix et partouze», en quelque sorte. Défi contre défi. Voilà l'armée russe prévenue. A la menace nucléaire censée briser le moral des Ukrainiens, ceux-ci n'hésiteront pas à répondre par un orgasme collectif, un sursaut de sexe national.

«C'est le contraire du désespoir», a déclaré une militante à Radio Free Europe. Même dans le pire des scénarios, les gens cherchent quelque chose de bon. C'est le méga-optimisme des Ukrainiens.

«C'est une tentative de montrer que plus ils essaient de nous faire peur, plus nous le transformerons en autre chose. L'humour aide. C'est une réponse à la menace russe.»

Lorsqu'une sirène de raid aérien a retenti la semaine dernière, un des organisateurs a même demandé avec enthousiasme: «Est-il temps?» avec un émoji souriant et a reçu environ 600 smileys en réponse.

Orgie comme arme de guerre

La chaîne Telegram qui a promu l'événement n'en est pas à sa première incursion dans le champ érotique de la guerre. Elle a couvert la guerre en empruntant ses saillies les plus patriotiques au registre du porno. La contre-attaque ukrainienne à Kherson? Une «fête BDSM pour les Russes»! Extension du domaine de la guerre à la scène fétichiste.

«Dans une période d'angoisse extrême, une orgie peut être un projet vital»
Slavoj Zizek, philosopheL'orgie du bout du monde

Le philosophe slovène Slavoj Zizek oppose donc l'orgie à l'usage délibéré du viol par l'armée russe, qui distribue du Viagra comme munition à ses troupes. Mais tous les Slovènes ne partagent pas l'avis de Zizek. «A la grande honte de mon propre pays» Matja Gams, membre du conseil d'État slovène, a réagi à l'histoire de l'orgie en suggérant que lorsqu'une civilisation entre dans sa période de décadence, «des idées étranges et morbides apparaissent»

Mais qu'est-ce qui est plus étrange et plus morbide? rétorque Zizek: une soirée sexuelle (où toute activité est volontaire et consensuelle), ou les attaques aveugles de la Russie contre les infrastructures civiles et les civils (y compris l'utilisation du viol systémique comme tactique militaire)?

Opération spéciale et jeu vidéo

La guerre en Ukraine ne cesse de nous surprendre. Elle bouleverse les codes de la propagande en temps de guerre. La rhétorique patriotique, avec ses figures de style sérieuses et ses rites sacrificiels, cède la place au registre ludique, à l'ironie et à la parodie. Le jeu dissout les enjeux, l'ironie relativise les postures martiales. Plutôt que l'affirmation de la fierté nationale, de son armée et de son courage, c'est la logique du carnaval qui prévaut, l'inversion de la force et de la faiblesse, la métaphore de David et Goliath.

Envoie-t-on une bombe nucléaire sur 15 000 partouzeurs à poil?

La guerre est sans récit. Elle n'a ni début, ni fin. Une vidéo a précédé son déclenchement. D'ailleurs ce n'est pas une guerre, c'est une «opération spéciale». Pas de guerre, pas de déclaration. Un avion de chasse non identifié a survolé une ville sans nom. Il a tiré un missile sur une cible au sol, avant de disparaître dans la nuit, poursuivi par des rafales de tirs lasers? Et tout le monde y a cru. Le clip s'est rapidement répandu sur les réseaux sociaux, il a été partagé des centaines de milliers de fois sur Facebook et Twitter. En réalité, il n'y avait aucun avion, aucun missile frappant le sol. Cette vidéo était un extrait d'un jeu vidéo appelé Arma 3, sorti dix ans auparavant.

Avant que les armes ne se mettent à parler, la vidéo montrait la guerre en suspens, et qui était dans toutes les têtes. Annoncée et démentie mille fois. Elle comblait une chose inavouable, l'attente de la guerre. Qu'elle vienne enfin! Qu'elle cesse de se faire attendre! La vidéo n'était ni vraie ni fausse, c'était l'artefact d'un fantasme. Un faux début, logique pour un conflit que certains commentateurs ont décrit comme «la première guerre des médias sociaux», interprété non seulement avec des fusils et des chars, mais aussi avec des iPhone.

Et si tout ça n'était qu'une farce?

La Seconde Guerre mondiale, écrivait Adorno, se serait en fait jouée comme un «documentaire monstre», où chacun ne comprenait finalement son rôle qu'en voyant la place qu'il occupait à l'écran. On pourrait en dire autant de la guerre en Ukraine, qui se donne à lire sur TikTok, comme un «documentaire monstre» d'images vraies-fausses, sales, mal cadrées, comme des déchets de guerre, images compost, produites par des reporters de guerre amateurs, non pas «embedded» mais emballés, tiktokisés.

La dramaturgie de la guerre cède la place à une suite de chocs intemporels soumise à la logique du discrédit et à la dynamique des trolls. C'est l'expérience même de la guerre qui est dévaluée. Et dans cette débauche de signes dispersés, seule une perspective s'ouvre, un scénario brandi ad nauseam, celui de l'auto-dévoration de la guerre. Le scénario nucléaire tant redouté.

Mais ce n'est plus la dissuasion des forces qui est recherchée, c'est la sidération des esprits.

«Que ferez-vous si je lâche une bombe nucléaire? La seule réponse possible, c'est le défi du pitre»

Nous danserons, nous baiserons, nous ferons une orgie monstre? Envoie-t-on une bombe nucléaire sur 15 000 partouzeurs à poil? A la bombe annihilatrice, on répond par une farce monstre, à la puissance impériale, on oppose le désordre du carnaval, à l'escalade nucléaire la surenchère érotique, au chantage à la bombe la possibilité d'une orgie. Continuez votre guerre, nous dansons? Mars vs Dionysos.

Peut-être la guerre en Ukraine est-elle déjà entrée dans une phase qui va au-delà des registres de la tragédie et de la farce évoqués par Hegel et par Marx, et fusionnent dans un au-delà bizarre, un entre-deux qui a les caractères de la tragédie (les morts, les viols, les villes détruites) et ceux de la farce (TikTok, «ghost heroes», mèmes?)

Un affrontement qui relève à la fois de la guerre réelle et de la guerre simulée, où les signes guerriers débordent et sont absorbés dans un autre champ de bataille, celui des écrans et des réseaux sociaux. La guerre nucléaire rencontre la guerre algorithmique, dans un scénario de chaos global. Ce n'est plus tout à fait une tragédie et déjà plus une farce, mais une orgie. L'orgie comme l'anti-modèle de la guerre. L'orgie comme le stade ultime de la dévoration des corps, des attentions, des désirs.

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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Un bâtiment en flammes après un bombardement russe, Kiev.
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Témoignage d'une famille de réfugiés
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