On entend rarement parler d'eux, mais ils souffrent presque en silence sous la coupe russe, bien qu'ils luttent depuis des siècles pour leur identité, leur culture et leur existence. «Les gens ignorent même que 80% des prisonniers politiques de la péninsule sont des Tatars de Crimée», déclare Alim Aliev dans un entretien avec watson.
Selon lui, la conquête violente de la Crimée par la Russie, le 27 février 2014, ne représente que la pointe de l'iceberg d'une longue histoire d'oppression et de persécution. Pour rappel, depuis le printemps 2014, la Crimée est aux mains des Russes, après que ce pays a occupé et annexé l'île en violation du droit international. Et l'histoire se répète, mais avec une nouvelle stratégie.
Le même schéma depuis des siècles. Déjà lors de la première annexion en 1783, l'impératrice russe Catherine II avait tenté de repousser les indigènes: des Tatars de Crimée. En 1944, le dictateur Joseph Staline a également fait déporter des milliers de personnes en Asie centrale et dans d'autres régions reculées de l'ancienne Union soviétique - dans des conditions brutales. Aliev n'hésite pas à parler de génocide.
Les gens avaient à peine le temps de faire leurs valises et on les chassait par la force des armes dans des wagons à bestiaux, rapporte le Bundeszentrale für politische Bildung (BPB, une agence allemande dédiée à l'éducation politique, offrant des ressources et des programmes pour informer les citoyens). Les malades et les blessés, en incapacité de se déplacer, étaient «liquidés». Idem pour ceux qui s'opposaient à l'ordre de déportation.
La famille d'Aliev avait alors été expulsée vers l'Ouzbékistan, où il est né bien des années plus tard, en 1988. «Je ne m'en souviens pas, car un an après ma naissance, nous avons pu retourner en Crimée», raconte-t-il. C'est là qu'il a grandi, dans son nouveau et ancien pays. Puis rebelote – les Russes sont arrivés.
La même année, il a cofondé l'organisation Crimea SOS afin d'attirer l'attention sur la situation du peuple.
Depuis l'occupation, les violations des droits humaines se multiplient selon Aliev; principalement contre les Tatars. Qu'il s'agisse de perquisitions arbitraires, d'enlèvements, d'assassinats ainsi que d'interdictions de rassemblement, «cela a complètement chamboulé nos vies».
Pour rappel, en 1783, avant que Catherine II ne les évince, les Tatars de Crimée représentaient 95% de la population du territoire, selon Aliev. Aujourd'hui, ils sont environ 15%.
«On estime que 50 000 personnes ont fui pour échapper aux forces d'occupation russes. C'est beaucoup. Elles vivent, aujourd'hui, principalement dans les oblasts de Kiev, Kherson ou Lviv, en Ukraine», précise le militant. Parmi les exilés, on trouve surtout des hommes d'affaires, des étudiants ou des journalistes.
Autrefois, la Crimée était considérée comme un paradis pour les vacances, mais le Kremlin l'a transformé en une véritable forteresse militaire. «Cette militarisation ne recule devant rien, pas même la conscience et l'esprit des habitants», estime Alim Aliev. Dans les crèches, on affuble ainsi les enfants d'uniformes de l'armée soviétique lors de certains «jours fériés». Des vétérans russes visitent les écoles et racontent leurs «histoires de héros».
Moscou s'attaque délibérément à l'ADN des Tatars et veut la remplacer par une nouvelle «identité russe». «Selon la propagande russe, nous sommes un peuple extrémiste». Nombreux sont ceux que l'on qualifie d'extrémistes ou de terroristes pour pouvoir les persécuter.
A cela s'ajoute l'attaque contre la langue. «Quand j'étais enfant, un Russe qui m'a entendu parler m'a une fois demandé de parler une langue normale», se souvient Aliev. Le tatar pourrait être amené à disparaître, faute de locuteurs. Dans les écoles de la région, on le propose tout au plus comme deuxième branche. Et la Russie s'en prend également aux biens culturels. Ceux qui ne correspondent pas à l'idéologie russe sont détruits ou défigurés.
Alim Aliev cite par exemple le Hansaray, ou Khan-Saraï ou encore «palais du khan» situé dans la ville de Bakhtchissaraï en Crimée. Il a été reconstruit par les autorités russes, qui ont volontairement gommé son aspect traditionnel.
Moscou réécrit également l'histoire de sorte que les Tatars de Crimée n'y jouent pratiquement aucun rôle.
Cette volonté de justice pousse la minorité à ne pas se laisser abattre après tous ces siècles. Le militant rêve qu'un jour, tous les Tatars puissent rentrer chez eux et vivre une renaissance de leur culture et de leur religion. Au final, on peut voir le destin des Tatars comme un boomerang, estime-t-il. «Nous revenons toujours à notre mère patrie.»
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)