International
ukraine

Tatars de Crimée: «L'annexion russe n'est que le début»

Comment Moscou veut «anéantir» les Tatars de Crimée

Tatars de Crimée: «L'annexion russe n'est que la pointe de l'iceberg»
Alim Aliev, militant des droits humains et journaliste.Image: dr: alim aliev
Les Tatars de Crimée jouent un rôle central dans la péninsule annexée par les Russes. Pourtant, ils semblent presque invisibles. Alim Aliev, militant des droits humains et journaliste, attire aujourd'hui l'attention sur le sort de ses compatriotes.
05.01.2025, 07:01
Anne-Kathrin Hamilton / watson.de
Plus de «International»

On entend rarement parler d'eux, mais ils souffrent presque en silence sous la coupe russe, bien qu'ils luttent depuis des siècles pour leur identité, leur culture et leur existence. «Les gens ignorent même que 80% des prisonniers politiques de la péninsule sont des Tatars de Crimée», déclare Alim Aliev dans un entretien avec watson.

Moscou installe des Russes sur le territoire

Selon lui, la conquête violente de la Crimée par la Russie, le 27 février 2014, ne représente que la pointe de l'iceberg d'une longue histoire d'oppression et de persécution. Pour rappel, depuis le printemps 2014, la Crimée est aux mains des Russes, après que ce pays a occupé et annexé l'île en violation du droit international. Et l'histoire se répète, mais avec une nouvelle stratégie.

«Depuis l'occupation de la Crimée, environ 800 000 Russes ont été installés sur la péninsule»
Alim Aliev

Le même schéma depuis des siècles. Déjà lors de la première annexion en 1783, l'impératrice russe Catherine II avait tenté de repousser les indigènes: des Tatars de Crimée. En 1944, le dictateur Joseph Staline a également fait déporter des milliers de personnes en Asie centrale et dans d'autres régions reculées de l'ancienne Union soviétique - dans des conditions brutales. Aliev n'hésite pas à parler de génocide.

Les gens avaient à peine le temps de faire leurs valises et on les chassait par la force des armes dans des wagons à bestiaux, rapporte le Bundeszentrale für politische Bildung (BPB, une agence allemande dédiée à l'éducation politique, offrant des ressources et des programmes pour informer les citoyens). Les malades et les blessés, en incapacité de se déplacer, étaient «liquidés». Idem pour ceux qui s'opposaient à l'ordre de déportation.

Alim Aliev
Alim Aliev.Image: alim aliev

La famille d'Aliev avait alors été expulsée vers l'Ouzbékistan, où il est né bien des années plus tard, en 1988. «Je ne m'en souviens pas, car un an après ma naissance, nous avons pu retourner en Crimée», raconte-t-il. C'est là qu'il a grandi, dans son nouveau et ancien pays. Puis rebelote – les Russes sont arrivés.

«La dernière fois que je suis allé en Crimée, c'était en janvier 2014. Lorsqu'ils ont envahi la région, j'étais à Kiev»
Alim Aliev

La même année, il a cofondé l'organisation Crimea SOS afin d'attirer l'attention sur la situation du peuple.

La Russie soupçonnée de graves violations des droits humains

Depuis l'occupation, les violations des droits humaines se multiplient selon Aliev; principalement contre les Tatars. Qu'il s'agisse de perquisitions arbitraires, d'enlèvements, d'assassinats ainsi que d'interdictions de rassemblement, «cela a complètement chamboulé nos vies».

«Les Russes nous isolent de plus en plus pour nous empêcher de vivre notre culture. A leurs yeux, nous ne constituons qu'une partie de la Crimée "multiculturelle", mais pas le plus grand groupe de population autochtone de la péninsule.»
Alim Aliev

Pour rappel, en 1783, avant que Catherine II ne les évince, les Tatars de Crimée représentaient 95% de la population du territoire, selon Aliev. Aujourd'hui, ils sont environ 15%.

Qui sont les Tatars de Crimée?
Il s'agit d'un peuple turc musulman, qui rassemble les descendants de différents groupes ethniques dont les racines remontent à l'Antiquité et aux nomades mongols de la Horde d'or au 13ᵉ siècle. Selon le BPB, la Crimée est étroitement liée à leur identité nationale. Depuis des siècles, les dirigeants russes et soviétiques ont tenté de repousser et d'éradiquer les Tatars de Crimée.

Fuite russe et refuge en Ukraine

«On estime que 50 000 personnes ont fui pour échapper aux forces d'occupation russes. C'est beaucoup. Elles vivent, aujourd'hui, principalement dans les oblasts de Kiev, Kherson ou Lviv, en Ukraine», précise le militant. Parmi les exilés, on trouve surtout des hommes d'affaires, des étudiants ou des journalistes.

«On apprend aux enfants que l'Ukraine est une ennemie et que l'invasion de la Crimée par la Russie est glorieuse»
Alim Aliev

Autrefois, la Crimée était considérée comme un paradis pour les vacances, mais le Kremlin l'a transformé en une véritable forteresse militaire. «Cette militarisation ne recule devant rien, pas même la conscience et l'esprit des habitants», estime Alim Aliev. Dans les crèches, on affuble ainsi les enfants d'uniformes de l'armée soviétique lors de certains «jours fériés». Des vétérans russes visitent les écoles et racontent leurs «histoires de héros».

epa04128937 People react at Lenin Square after the end of a referendum in Simferopol, Crimea, Ukraine, 16 March 2014. More than 90 per cent of Crimeans voted for the Ukrainian region's accession  ...
L'annexion de la Crimée par les Russes célébrée en 2014.Image: EPA

Effacer leur identité

Moscou s'attaque délibérément à l'ADN des Tatars et veut la remplacer par une nouvelle «identité russe». «Selon la propagande russe, nous sommes un peuple extrémiste». Nombreux sont ceux que l'on qualifie d'extrémistes ou de terroristes pour pouvoir les persécuter.

«On ne se bat donc pas contre nous, les gens, contre les Tatars de Crimée, mais contre les terroristes. C'est plus vendeur»
Alim Aliev

A cela s'ajoute l'attaque contre la langue. «Quand j'étais enfant, un Russe qui m'a entendu parler m'a une fois demandé de parler une langue normale», se souvient Aliev. Le tatar pourrait être amené à disparaître, faute de locuteurs. Dans les écoles de la région, on le propose tout au plus comme deuxième branche. Et la Russie s'en prend également aux biens culturels. Ceux qui ne correspondent pas à l'idéologie russe sont détruits ou défigurés.

Alim Aliev cite par exemple le Hansaray, ou Khan-Saraï ou encore «palais du khan» situé dans la ville de Bakhtchissaraï en Crimée. Il a été reconstruit par les autorités russes, qui ont volontairement gommé son aspect traditionnel.

le Hansaray, ou Khan-Saraï ou encore «palais du khan»
Getty Images Europe

Moscou réécrit également l'histoire de sorte que les Tatars de Crimée n'y jouent pratiquement aucun rôle.

«La Russie veut anéantir mon peuple. Comme les Ukrainiens, nous nous battons pour notre identité»
Alim Aliev

Cette volonté de justice pousse la minorité à ne pas se laisser abattre après tous ces siècles. Le militant rêve qu'un jour, tous les Tatars puissent rentrer chez eux et vivre une renaissance de leur culture et de leur religion. Au final, on peut voir le destin des Tatars comme un boomerang, estime-t-il. «Nous revenons toujours à notre mère patrie.»

(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

L’Ukraine détruit un nouveau navire de la flotte russe en mer Noire
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Marine Le Pen ne se «pardonnera jamais» l'exclusion de son père
En 2015, Jean-Marie Le Pen s'était vu retirer son titre de «président d'honneur» du RN. Une décision des plus «difficiles», confie sa fille Marine.

Marine Le Pen assure qu'elle ne se «pardonnera jamais» la décision d'exclure son père, Jean-Marie Le Pen, du Front national (FN). «Je sais que cela lui a causé une immense douleur», a-t-elle dit dans un entretien paru sur le site internet du Journal du Dimanche.

L’article