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Ukraine: reportage dans une cellule de torture russe

Vitaliy Sayapin a passé trois mois et demi torturé dans une prison.
Vitaliy Sayapin a passé trois mois et demi torturé dans une prison.image: t-online/Byron Smith

«Je n'avais qu'une envie, mourir»: visite d'une chambre de torture russe

Dans une prison de l'est de l'Ukraine, l'armée russe a brutalement torturé de nombreuses personnes. Retour sur les lieux de l'horreur, accompagnée d'un ancien détenu.
15.12.2022, 06:1915.12.2022, 09:17
Daniel Mutzel, Koupiansk
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L'endroit où Vitaliy Sayapin a eu peur de mourir est une pièce austère avec des murs vert clair: six mètres carrés, une fenêtre, une table, un banc, deux chaises. Sur le sol, des gobelets et des bouteilles d'eau vides, sur la table deux bouteilles de whisky terminées. Les cigarettes de Biélorussie, la latte de bois avec laquelle il a été frappé: tout est encore là.

Vitaliy Sayapin, 42 ans, fonctionnaire administratif de la ville de Kupjansk dans l'est de l'Ukraine, se tient au milieu de la pièce et dit:

«C'est ici que j'ai, pour la première fois, aspiré à la mort»

Vitaliy Sayapin est de retour au 14 rue Kharkiv, le commissariat de police de Kupiansk que les occupants russes ont transformé en prison de torture. Ils l'ont retenu prisonnier ici pendant trois mois et demi. Ils l'ont frappé, torturé avec des décharges électriques, menacé et insulté. Ils lui ont brisé les côtes et fait perdre son envie de vivre.

Mais Vitaliy Sayapin a survécu. Toutefois, bien des nuits, il se sent «encore dans cette pièce aux murs verts», dit-il.

Vitaliy Sayapin dans l'ancienne chambre de torture.
Vitaliy Sayapin dans l'ancienne chambre de torture.image: t-online/Byron Smith

Maintenant que les Russes sont partis, il est revenu sur place. Il veut raconter ce que lui – et les quelque 200 autres hommes et huit femmes – ont vécu dans la prison de Kupjansk. Une histoire en totale contradiction avec la propagande russe, qui justifie toujours la guerre par la volonté de protéger les civils d'un régime prétendument criminel à Kiev.

Le prix élevé de la paix

L'histoire de Vitaliy Sayapin montre à quel point les occupants russes agissent brutalement contre les personnes qui enfreignent leurs règles ou qui ne coopèrent pas. Son témoignage montre le prix que les Ukrainiens devraient payer s'ils cédaient une partie de leur pays à la Russie au nom de la paix.

Car contrairement à de nombreuses autres villes ukrainiennes, Kupjansk s'était rendue sans résistance aux Russes en février. Le maire de l'époque, Hennadyj Matsehora, a capitulé lorsque les troupes russes ont menacé de prendre d'assaut la ville de 30 000 habitants.

Il voulait sauver la vie des habitants et la ville de la destruction. Certains citoyens l'ont donc vu comme un traître, d'autres ont cru à sa promesse: au lieu d'une lutte perdue d'avance avec de nombreuses victimes, la paix et la stabilité seraient ainsi garanties.

Nostalgie soviétique dans l'ancienne prison de torture de Kupjansk.
Nostalgie soviétique dans l'ancienne prison de torture de Kupjansk.image: t-online/Byron Smith

Vitaliy Sayapin ne l'a pas cru, mais il a quand même continué à faire son travail au conseil municipal de Kupjansk. Il était chargé d'enregistrer les personnes déplacées de force qui arrivaient à Kupjansk. L'homme insiste sur le fait qu'il a continué à travailler «selon le droit ukrainien», ce qui signifiait par exemple aider les personnes déplacées de force à faire valoir leur droit à une indemnisation auprès de l'État ukrainien. L'armée russe n'est pas intervenue.

Le cauchemar commence

Cette situation s'est maintenue jusqu'au 28 mai. Ce samedi-là, Vitaliy Sayapin voulait téléphoner à sa femme et à sa fille de dix ans, qui avaient fui à l'étranger suite à l'invasion russe. Les occupants ayant coupé le réseau de téléphonie mobile en mars, il n'a pas pu les joindre pendant un long moment. Le réseau a ensuite été rétabli à certains endroits de la ville.

Le jour commençait à se lever lorsque Vitaliy Sayapin est sorti dans la rue pour tenter de joindre sa femme. En vain. Il n'y parvint pas.

Soudain, deux voitures se sont approchées et se sont arrêtées. Il était dans la lumière des phares. Des hommes armés sont sortis de la voiture, l'ont poussé à terre et l'ont fouillé. Ils lui ont dit qu'il avait enfreint le couvre-feu et qu'il devait venir au poste de police.

La salle d'interrogatoire.
La salle d'interrogatoire.image: t-online/Byron Smith

L'ancien commissariat de police était déjà utilisé par les Russes comme camp d'internement à cette époque. Des personnes y étaient envoyées pour la moindre infraction au règlement ou parce qu'elles étaient considérées comme suspectes. Les Russes les plaçaient par centaines dans des cellules bien trop petites.

«Il y avait juste assez de nourriture et d'eau pour rester en vie»
Vitaliy Sayapin

La spécialité de «Chat»? La torture des détenus

Dans la région de Kharkiv, l'administration militaire russe aurait dirigé tout un réseau de prisons de torture. Les forces de l'ordre ukrainiennes en ont trouvé 22 au total, après que les occupants se soient retirés de la région. Selon l'enquêteur en chef de la police de Kharkiv, Serhiy Bolvinov, le nombre exact de victimes et de coupables fait depuis l'objet d'une enquête.

L'un des tortionnaires, surnommé «Chat», est un citoyen kazakh. Il a fréquenté une école de chars à Kharkiv avant la guerre. «Chat» était en grande partie responsable de la torture des détenus, selon Serhiy Bolvinov.

Un policier ouvre l'ancienne cellule de Sayapin.
Un policier ouvre l'ancienne cellule de Sayapin.image: t-online/Byron Smith

Nous avons tenté de vérifier les déclarations de Vitaliy Sayapin. Il a raconté oralement son cas aux autorités policières de Kiev et de Kharkiv. Une déclaration écrite «aux institutions internationales» devrait également bientôt suivre. Son codétenu, Yevhen Sinko, confirme son histoire. Yevhen Sinko était assis en face de la cellule de Vitaliy Sayapin, selon le chef de l'hôpital local qui a lui-même été emprisonné parce qu'il a refusé de travailler pour les Russes.

«Vitaliy Sayapin, la plupart des autres détenus et moi-même, étions régulièrement torturés»
Yevhen Sinko

«Pourquoi n'aimes-tu pas la Russie?»

«Les conditions dans la prison étaient horribles», raconte Vitaliy Sayapin: 21 détenus devaient partager une pièce de quatre, huit personnes étaient enfermées dans une cellule prévue pour une seule personne. Beaucoup ont dû dormir à l'extérieur sur un sol en béton, sans eau, sans toilettes, sans dignité. Ils ne recevaient des soins médicaux qu'en cas d'urgence, dit-il. Il ajoute:

«Nous étions interrogés 24 heures sur 24, battus, humiliés et ridiculisés»
La vie revient lentement à Kupjansk: des artistes peignent la façade de l'hôtel de ville.
La vie revient lentement à Kupjansk: des artistes peignent la façade de l'hôtel de ville.image: t-online/Byron Smith

«Je n'avais qu'une envie, c'était de mourir»

Dès le premier jour de son arrivée, les Russes l'ont emmené dans la pièce aux murs verts. Ils l'ont interrogé, ont voulu savoir où il travaillait, qui et où était sa famille et ce qu'il pensait de la Russie et du maire. «Pourquoi n'aimes-tu pas la Russie?», lui a demandé un soldat. Ils l'ont frappé à la tête et le menaçaient de recommencer. Au bout d'une heure, c'était fini.

Le lendemain, l'interrogatoire a continué. Cette fois, les Russes n'ont pas posé de questions. Trois hommes lui ont attaché les mains et lui ont ordonné de s'asseoir dans un coin. Ils lui ont mis des fils électriques autour des oreilles. Vitaliy Sayapin raconte que la première décharge électrique a été si violente qu'il s'est évanoui.

Quand il est revenu à lui, tout était flou. Ils lui disaient: «Dis-nous tout!», mais il ne savait pas quoi leur dire. Ils lui ont mis le fils électrique sur les orteils, les doigts, les lèvres et les parties génitales. Pour rendre les décharges électriques encore plus efficaces, ils humidifiaient sa peau aux points de contact.

«Ce qui était insupportable dans la torture, ce n'était même pas la douleur, mais le pur désespoir que cela ne s'arrête jamais. Je n'avais qu'une envie, c'était de mourir»
Vitaliy Sayapin

Lorsqu'ils l'ont relâché et renvoyé dans sa cellule, il ne pouvait plus marcher, son corps était couvert d'enflures. Il a encore été interrogé quatre fois. Une fois, ils l'ont envoyé dans la cour pour lui faire croire qu'il allait être abattu. «J'étais mort de peur».

Vitaliy Sayapin de retour sur les lieux du crime.
Vitaliy Sayapin de retour sur les lieux du crime.image: t-online/Byron Smith

Et puis... plus rien

«"L'enregistrement" était une méthode de torture particulièrement cruelle. Les nouveaux arrivants étaient frappés par les gardiens avec un bâton pour les saluer, pas violemment mais longtemps, toujours sur le même endroit du corps, ce qui provoquait une douleur insupportable»
Vitaliy Sayapin

Et d'ajouter:

«Le pire, c'était les cris dans la nuit et l'incertitude»

Ce qui allait lui arriver, combien de temps il allait devoir rester dans le cachot: des questions comme celles-ci devenaient un véritable supplice. «Certains détenus ont perdu la raison à cause de cela», dit-il.

Puis, début septembre, Vitaliy Sayapin a soudain entendu des coups de feu et des explosions dans la ville. Il ne comprenait pas ce qui se passait. «Nous vivions dans un vide complet d'informations». Le 4 septembre, un missile Himars ukrainien a touché le quartier général de la police d'occupation situé en face, dirigé par des séparatistes de la région de Louhansk.

«L'explosion a été si violente que les prisonniers se sont réfugiés sous les lits», raconte-t-il. Les gardiens aussi sont devenus nerveux, ils ont secoué les portes pour vérifier qu'elles étaient bien fermées.

21 détenus auraient vécu dans cette petite cellule.
21 détenus auraient vécu dans cette petite cellule.image: t-online/Byron Smith

Au bout de quelques jours, ils se sont tus. Ils n'apportaient plus de nourriture, ne répondaient plus aux appels à l'aide. «Nous avons alors su que nous étions laissés pour morts», raconte Vitaliy Sayapin. Si un obus d'artillerie venait à frapper la prison, «la cellule deviendrait notre tombe».

«Beaucoup étaient si faibles qu'ils acceptaient déjà leur mort», se souvient Vitaliy Sayapin. Quatre jeunes hommes ont toutefois réussi à arracher un banc en bois du sol, à briser l'unique fenêtre de la pièce et à tordre les barreaux. Ils ont réussi à sortir à l'air libre. Ils sont ensuite rentrés en courant dans le bâtiment et ont ouvert les portes des cellules. Tous étaient enfin libres.

Un village détruit à Kupjansk.
Un village détruit à Kupjansk.image: t-online/Byron Smith

Vitaliy Sayapin s'est enfoncé dans la nuit noire, désorienté et paniqué à l'idée de rencontrer ses geôliers. Mais les Russes étaient partis. L'homme est rentré discrètement chez lui. Un jour plus tard, le 10 septembre, Kupjansk était libéré par les troupes ukrainiennes.

Aujourd'hui, Vitaliy Sayapin pense au maire de l'époque qui prétendait laisser entrer les Russes dans la ville pour protéger les habitants de la violence. A cette idée, la colère le gagne.

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