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Ces Ukrainiens prêts à tout pour harceler les Russes

Lance-roquettes artisanal côté ukrainien.
Lance-roquettes artisanal côté ukrainien.image: stefan graf

Au front avec des Ukrainiens prêts à tout pour harceler les Russes

Le manque de ravitaillement et la nouvelle offensive russe rendent la vie difficile aux Ukrainiens. Même si les soldats sont fatigués, ils n'ont pas d'autre choix que de continuer à se battre. Reportage texte et photos.
05.11.2023, 08:0005.11.2023, 10:09
Kurt Pelda, Oblast de zaporijia / ch media
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Les souris sont partout: dans les champs, entre les rangées d'arbres qui servent de brise-vent dans la steppe, et bien sûr dans les habitations. Le logement des soldats, une ancienne ferme, en est rempli. Elles grouillent dans le plafond, dans les murs troués, et elles s'attaquent même au papier toilette.

La nuit, les petits rongeurs se glissent sur les lits de camp et s'égarent parfois même dans les sacs de couchage des combattants. Plus loin, dans les tranchées et les bunkers, c'est encore pire, raconte Denis, un Ukrainien qui vient de rentrer du front.

«J'ai même eu une souris dans la jambe de mon pantalon. C'est habituel là-bas»
Denis, combattant ukrainien

Ce village du sud de l'Ukraine est situé à environ 18 kilomètres de la ligne de combat principale. La ferme sert de base arrière aux soldats. Les combattants peuvent s'y reposer des fatigues du front, il y a même un sauna improvisé. En outre, les véhicules et les armes sont réparés ou entretenus.

Des troupes russes comme à l'infini

Bien qu'il y ait beaucoup de chats et que les soldats posent des pièges et des appâts empoisonnés, les Ukrainiens sont impuissants face au fléau des souris. Le fait que de nombreux agriculteurs aient quitté les zones de front et qu'on ne fasse plus de récoltes dans les innombrables champs explique partiellement le problème. Ce sont des conditions paradisiaques pour les rongeurs. Les déchets produits par les milliers de soldats des deux côtés du front contribuent en outre à l'abondance de nourriture.

Dans l'attente des ordres.
Dans l'attente des ordres.image: stefan graf

Les Ukrainiens sont non seulement confrontés aux souris, mais également aux envahisseurs russes. Il est certain que les pertes humaines et matérielles de la Russie sont bien plus importantes que celles de l'Ukraine. Malgré cela, Moscou parvient toujours à mobiliser de nouvelles de troupes.

Ces unités sont peut-être moins bien formées et moins bien équipées que celles que Vladimir Poutine et ses généraux ont laissées s'épuiser il y a encore un an; elles n'en donnent pas moins du fil à retordre aux Ukrainiens. Car le commandement de l'armée russe n'a pas peur de subir des pertes énormes – même s'il n'en résulte au final que de petits gains de terrain.

Hausse massive du prix des munitions d'artillerie

De plus, les Ukrainiens sont confrontés à une pénurie de ravitaillement. Les munitions d'artillerie lourde se font particulièrement rares. La contre-offensive de Kiev, qui s'est entre-temps essoufflée, a notamment été alimentée par des obus en provenance de Corée du Sud. Mais les canons semblent avoir épuisé la majeure partie du stock. A l'inverse, la Russie reçoit désormais des munitions de Corée du Nord. Même si les Etats-Unis et l'Europe investissent davantage et augmentent la production de munitions, il faudra du temps avant de pouvoir répondre à la demande accrue de l'Ukraine et des armées occidentales.

Un avion russe dans le ciel.
Un avion russe dans le ciel.image: stefan graf

L'Ukraine a converti une partie de son artillerie, axée sur les munitions soviétiques, en canons occidentaux de calibre 155 millimètres. Cependant, les pays de l'Otan fabriquent de nombreux types différents de ces obus, qui ne sont pas facilement interchangeables. Ce manque de standardisation a contribué aux problèmes de l'Ukraine. La situation tendue du marché est également illustrée par le fait que le prix par obus a environ quadruplé depuis 2022 à l'Ouest pour atteindre 8000 dollars.

Dans la région de Zaporijia, où nous nous trouvons, les Ukrainiens ont certes gagné beaucoup de terrain avec leur contre-offensive. Mais il n'y a pas eu de percée décisive depuis juin, et les pertes n'ont peut-être jamais été aussi élevées depuis février 2022. On constate qu'une certaine lassitude se répand, tant dans les zones de front que dans les villes à l'arrière.

Denis, le soldat revenu du front, réfléchit longuement avant de répondre quand je lui demande s'il est fatigué:

«La guerre est usante pour nous tous, mais si nous ne nous battons pas, personne d'autre ne le fera. Alors, la plupart du temps, nous nous motivons mutuellement, et nous sommes soutenus par nos amis et nos familles»
Denis, combattant ukrainien

En d'autres termes, pour Denis, le soutien ne vient pas tant de l'Etat ou du commandement de l'armée ukrainienne que de ses proches. De nombreux soldats de l'unité se sont rendus dans la zone de guerre avec leur voiture privée, ils utilisent leurs propres ressources pour s'approvisionner en nourriture et en produits de première nécessité. Car même si les Ukrainiens sont fatigués, ils n'ont pas le choix: soit ils se battent, soit le pays qu'ils connaissent cesse d'exister.

Un grand sens de l'improvisation

En cas de victoire russe, la langue et la culture ukrainiennes ne survivraient que dans la diaspora, une foule de réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. L'Europe serait la plus touchée par cet exode. L'aide en armement fournie jusqu'à présent a permis à l'Ukraine de ne pas perdre, mais l'Occident n'a jamais voulu, assez cyniquement, fournir assez d'armes pour que les Russes soient battus de manière décisive.

Le soldat portant le nom de guerre «Chacal» alimente un lance-roquettes multiples de fabrication artisanale.
Le soldat portant le nom de guerre «Chacal» alimente un lance-roquettes multiples de fabrication artisanale.image: stefan graf

Au terme d'un travail fastidieux, l'unité est parvenue à monter dans la ferme un affût d'environ deux tonnes sur le plateau d'un imposant pick-up. Comme les autres munitions sont rares, l'affût a été équipé de deux lance-roquettes provenant d'un vieil hélicoptère – avec 32 tubes de lancement chacun. Un viseur de canon d'artillerie a également été installé et un cric soudé sert à modifier l'angle d'inclinaison des lanceurs. Comme le matériel est ancien et sale, de nombreux contacts électriques sont oxydés.

Les roquettes de calibre 155 millimètres n'ont qu'une portée de quelques kilomètres. C'est pourquoi nous nous approchons du front tôt le matin, protégés par l'obscurité. Nous nous arrêtons au poste de secours d'Ivetta, une ambulancière âgée d'une cinquantaine d'années, qui nous accueille avec hospitalité et nous prépare du thé. Elle dort dans un bunker. En surface, il n'y a qu'un siège recouvert de filets de camouflage et de branchages et une petite cuisine en plein air.

Grosse déception

Lorsque l'ordre de partir est donné, le commandant de bataillon et le pick-up transportant au total 30 roquettes chargées continuent leur route vers le sud, à la lueur de l'aube. Les deux véhicules se faufilent dans ce que l'on appelle la zone grise, le no man's land entre les fronts. De l'autre côté d'une vallée en pente douce, on distingue un village sur une petite colline. Ce village est entre les mains des Russes.

Mais le commandant a bien choisi la position de tir: dans un champ, derrière un petit bois qui masque la vue sur les positions russes. Celles-ci ne sont qu'à 600 mètres. Pour autant qu'il n'y ait pas de drones dans les airs, notre présence ne devrait donc pas être immédiatement remarquée. Le pointage des lanceurs ne prend que quelques secondes, puis l'équipage saute de la plate-forme de chargement et se met à l'abri, à quelques mètres du pick-up. Chaque tube est activé à l'aide d'un tableau de commande, via des câbles électriques. Mais rien ne se passe. Déçue, la troupe repart.

Un soldat nettoie les cavités du lance-roquettes avec un manche à balai.
Un soldat nettoie les cavités du lance-roquettes avec un manche à balai.image: stefan graf

Une odeur de poudre noire

Plus tard, à la ferme, les tubes de lancement sont soigneusement nettoyés, tous les contacts électriques sont débarrassés de la corrosion et chaque circuit électrique est vérifié individuellement. Le lendemain matin, on suit la même procédure, sauf que cette fois-ci, Ivetta n'a pas le temps de prendre le thé. Lorsque le pick-up se met en position dans le champ, le ciel commence à se teinter de rouge sous les nuages. Dans un jet de feu et une violente détonation, les deux premières fusées jaillissent des lanceurs. Une odeur de poudre noire se dégage et un voile de fumée grise se dépose sur le champ comme une brume matinale.

À peine le dernier projectile a-t-il disparu derrière la forêt que l'on remballe et on s'en va. L'avantage du pick-up est qu'il peut être mis en position et disparaître rapidement. Les Russes n'ont ainsi pas le temps de déterminer l'emplacement afin de répliquer par des tirs d'artillerie. Le premier test de l'arme artisanale est un succès. Dans le 4x4 du commandant de bataillon qui s'éloigne en trombe, les visages s'étirent en un large sourire de soulagement.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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Video: watson
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