Pourquoi parachuter de l'aide sur Gaza est «ridicule et inutile»
Ces derniers jours, plusieurs pays ont commencé à larguer de l'aide humanitaire au-dessus de Gaza. Parachutés depuis des avions militaires, ces colis sont censés soulager la population de Gaza, victime de famine. L'ONU indique que le «pire scénario» est en cours dans l'enclave, où des dizaines de Palestiniens, dont des enfants, sont déjà morts de faim.
La Jordanie, les Emirats arabes unis, la France, le Royaume-Uni, l'Espagne ou encore l'Allemagne ont participé à cette opération, comme leurs dirigeants respectifs n'ont pas manqué de souligner sur les réseaux sociaux. D'autres pays devraient leur emboîter le pas.
Pourtant, ces opérations sont fondamentalement inutiles. Et ce ne sont pas (seulement) plusieurs ONG et les Nations unies qui l'affirment. L'armée américaine était parvenue à la même conclusion, en 1991 déjà. C'est ce qu'indique Jean-Pierre Filiu, historien spécialisé dans le Moyen-Orient, dans une tribune publiée par le Monde.
Cette année-là, les Etats-Unis avaient organisé une campagne massive de largage dans le nord de l’Irak, lorsque des centaines de milliers de Kurdes avaient fui dans les montagnes pour échapper à la répression du régime. L'opération s'était soldée par «un échec cuisant», retrace l'historien. Les conclusions de l'Etat-major américain étaient, par ailleurs, sans appel:
Et pour cause: de nombreux réfugiés avaient péri, écrasés par les palettes ou tués dans les querelles sanglantes éclatées pour s’arracher l’aide. De plus, certains lots avaient atterri dans des zones inaccessibles ou minées.
Dangereux et «insuffiant»
Il s'agit des mêmes dangers évoqués par les ONG que Libération a interrogées la semaine dernière. Les palettes pèsent plusieurs centaines de kilos et il est impossible de savoir avec précision où elles vont tomber. «En 2024, plusieurs personnes avaient été tuées, soit en étant directement touchées, soit en se noyant en essayant de récupérer des colis tombés dans l’eau», a déclaré l'Unicef. Des dizaines d'individus ont déjà été blessés ces derniers jours, selon l'agence onusienne.
Et même lorsque ces palettes atterrissent sans incident, rien n’est fait pour que leur contenu soit réparti équitablement. «Les gens sont dans une telle situation de désespoir qu’ils vont forcément se jeter dessus et se battre pour essayer de tout récupérer», indiquent des travailleurs humanitaires à Libération. De plus, «il n’y a aucune garantie que l’aide bénéficie à ceux qui sont les plus affaiblis et qui en ont le plus besoin».
Mais le plus gros problème se situe ailleurs. Parachuter de l'aide est bien plus coûteux que de la distribuer par camion, et ne permet de livrer que de petites quantités. L’aide reçue ces derniers jours est une «bouffée d’oxygène», mais reste «largement insuffisante» par rapport aux besoins sur le terrain, a dénoncé l'ONU ce mardi.
A titre d'exemple, la France prévoit de parachuter 40 tonnes d'aide au-dessus de Gaza lors de quatre vols. C'est l'équivalent de ce qui peut être transporté par deux camions. Or, selon l'ONU, il faudrait 500 à 600 camions par jour pour aider efficacement la population de l'enclave.
Près de 6000 camions ne peuvent pas rentrer
Jean-Guy Vataux, chef de mission de Médecin Sans Frontières (MSF), dénonce auprès de Franceinfo une initiative «inutile et ridicule»: «Le largage d'aide humanitaire par avion, cela se fait quand on n'a pas d'accès terrestre à des populations». Ce qui n'est pas le cas à Gaza.
Selon l'ONU, près de 6000 camions chargés de vivres sont actuellement bloqués à l'extérieur de l'enclave palestinienne. L'organisation n'attend que «le feu vert pour entrer», a écrit sur X le patron de l'UNRWA, Philippe Lazzarini.
«Il suffit que le Premier ministre israélien donne un coup de téléphone à l'armée pour lui dire d'ouvrir les portes de Gaza. Et on pourra commencer à résorber la situation de famine qui dure depuis plusieurs mois déjà», s'insurge Jean-Guy Vataux.
«Apaiser l'opinion publique»
Pour Jean-Pierre Filiu, ces parachutages «relèvent plus de l’alibi médiatique que de l’efficacité opérationnelle» et visent «beaucoup plus à apaiser les opinions publiques qu’à soulager effectivement les souffrances de la population palestinienne».
«Il y a d’immenses privations, puis une aide arrive et la presse mondiale donne l’impression que la situation s’améliore», lui fait écho James Elder, porte-parole de l’UNICEF. Et d'ajouter: