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L'Ukraine a un grave problème avec ses soldats

Les déserteurs ukrainiens sont également un thème récurrent dans la propagande russe.
Les déserteurs ukrainiens sont également un thème récurrent dans la propagande russe.Image: Efrem Lukatsky / AP

On a réussi à discuter avec des déserteurs planqués en Ukraine

Depuis le début de l’invasion, environ 253 000 Ukrainiens ont quitté leur unité sans autorisation. L’armée cherche à les ramener sous les drapeaux, par l’incitation ou la sanction.
02.09.2025, 05:3002.09.2025, 05:30
Kurt Pelda / ch media
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Dima aime la musculation et boire des bières avec ses amis. Mais, comme des dizaines, voire centaines de milliers d’hommes ukrainiens, il a décidé de renoncer à ses loisirs. Il ne veut pas courir le risque d’être contrôlé en se rendant à la salle de sport ou au bar.

Ses papiers militaires n’étant pas en règle, il pourrait être enrôlé de force et envoyé au front. Il préfère donc rester cloîtré dans son appartement sombre, confiant les courses à des proches. La bière, il ne la boit plus que sur son canapé.

Les réfractaires au service sont dans le viseur des autorités, tout comme les déserteurs. Selon la loi ukrainienne, la désertion est passible de cinq à douze ans de prison. Les juges distinguent les cas où un soldat quitte son poste de façon permanente et se cache, ce que l’on nomme «désertion», des cas où il s’éloigne sans autorisation pour une période donnée, par exemple pour se faire soigner, assister au mariage d’un proche ou rejoindre une autre unité. Si l’absence dure plus de trois jours, la sanction prévue va de cinq à dix ans de détention.

Deux rares témoignages

Sans surprise, ces hommes qui fuient l’armée n’aiment pas parler aux journalistes, encore moins ceux de médias étrangers. Nous avons toutefois pu en joindre deux grâce à un intermédiaire.

Alexander s’est engagé volontairement en 2022. D’abord affecté en tant que garde-frontière sur le Danube, puis dans le nord du pays, il ne rencontrait jusqu'ici pas de difficultés particulières. Mais quelques mois plus tard, le jeune homme de 27 ans a été transféré dans une unité de combat du Donbass. Lors de sa première expérience dans une tranchée, un drone russe s’est abattu près de lui. Pris de panique, il s’est foulé le pied en prenant la fuite. Il s’est alors rendu à Kiev pour se faire soigner, malgré les ordres contraires de son commandant. Il vit depuis dans la clandestinité.

Andreï, 38 ans, a été intercepté et enrôlé alors qu’il voyageait d’Odessa vers sa région natale. Après une formation militaire de base, son aptitude lui a valu d’être envoyé en école d’officiers. Mais la peur d’être envoyé au front l’a rattrapé. Avant même la fin de la formation, il a pris la fuite et se cache aujourd’hui dans un appartement loué.

Selon des statistiques citées par les médias ukrainiens et issues du bureau du procureur général, 253 000 procédures pénales sont en cours: environ 50 000 pour désertion et un peu plus de 200 000 pour absence non autorisée. A titre de comparaison, les forces armées ukrainiennes compteraient actuellement entre 900 000 et 1 million de militaires. Pour rappel, les femmes ne sont pas soumises à la conscription obligatoire.

Un sujet de prédilection pour la propagande russe

Le sujet intéresse aussi la propagande russe, qui évoque 400 000 désertions, soit 17 000 cas par mois. Des chiffres largement exagérés. La tendance reste toutefois préoccupante pour Kiev. En 2024, environ 200 000 nouveaux soldats ont été mobilisés, tandis que plus de 68 000 procédures pour absence non autorisée et 23 000 pour désertion ont été ouvertes. Les cas se concentrent surtout dans les régions proches du front, à l’est et au sud du pays.

Une histoire a particulièrement défrayé l’actualité: celle de Serhiy Hnezdilov. En 2019, le soldat a abandonné ses études de journalisme pour s’engager volontairement. A partir de 2022, il a combattu à l’est et s’est fait connaître sur les réseaux sociaux, notamment grâce à ses podcasts où il racontait la vie du front avec ses camarades. Il y a près d’un an, il a annoncé sur Facebook qu’il quittait son unité afin de promouvoir le débat sur la durée du service militaire. En effet, soldats volontaires comme enrôlés de force s’engagent sans savoir quand prendra fin leur contrat.

Beaucoup d’Ukrainiens dénoncent depuis longtemps cette situation: aucune perspective de fin de guerre, donc pas de fin de service. Les permissions sont rares, et les unités épuisées sont rarement relevées. Parallèlement, dans les grandes villes, de jeunes hommes festoient et échappent à la conscription, parfois grâce à la corruption. A noter que l’obligation de servir ne concerne que les hommes à partir de 25 ans, une singularité mondiale.

Deuxième chance

Serhiy Hnezdilov, aujourd’hui âgé de 25 ans, a été arrêté quelques semaines après sa désertion. Mais en janvier, un tribunal a ordonné sa libération, après qu’il a accepté de regagner son unité. Une réforme importante a peu avant été votée: les soldats ayant quitté leur poste pour la première fois pouvaient bénéficier d’une amnistie s’ils reprenaient du service d’ici à fin août 2025. Selon les chiffres officiels, environ 29 000 hommes en ont profité.

Une visite au troisième centre de recrutement de la marine ukrainienne, à Odessa, montre quelques efforts de l’armée pour convaincre les soldats disparus de réintégrer leurs rangs. Le bureau se trouve dans un immeuble commercial, derrière des stores bleus frappés d’une ancre et du trident ukrainien. Quelques plantes vertes se dressent çà et là, censées donner une touche plus humaine à l’endroit.

Dmitro, officier au centre, explique que le bureau reçoit environ vingt appels par jour. «Nous demandons l’âge, l’état de santé, la formation et le métier exercé dans la vie civile. Nous les interrogeons aussi sur le type d’unité où ils aimeraient servir.» Ensuite, il prend contact avec l’une des neuf brigades partenaires du centre.

«Si une brigade est intéressée, nous rappelons le candidat et l’aidons à reprendre son service»

Quelques formalités plus tard, le dossier est clos.

«Avec cette amnistie, il est assez simple de revenir sans conséquences judiciaires. Et beaucoup de soldats sont affectés à l’arrière, pas directement en première ligne.»
Dmitro, officier au centre

Adapté de l’allemand par Tanja Maeder

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