Sa mère la surnommait «l'ange», mais en avait marre de devoir «lever la voix» et son comportement était «insupportable». Lizunya, quatre ans, est morte. Violemment. A Vinnytsia, en Ukraine. Jeudi, en fin de matinée, une roquette est venue souffler d'un seul tir, aveugle et désormais ordinaire, sa poussette rose pink et sa courte existence qui n'avait pas démarré dans la plus douce des insouciances. La gamine souffrait d'un handicap mental qui mettait, parfois, les nerfs de sa maman à rude épreuve. En 2021, énième croche-patte du destin: c'est une polyarthrite rhumatoïde qui se déclare dans ses membres.
Hasard malheureux, le compte Instagram de cette entrepreneuse ukrainienne est aujourd'hui figé sur un sentiment d'épuisement maternel, illustré par deux petites couettes et une jolie robe de princesse à froufrou, de même couleur que les quelques brins de lavande que Liza tient entre ses phalanges.
Le shooting date manifestement d'une petite semaine. La photo, elle, a été publiée jeudi à l'aube. Quelques heures plus tard, Liza perdait la vie. Sa maman a survécu. Mais la violence de l'attaque lui a littéralement arraché les deux jambes. Irina Dmitrieva est en soins intensifs, dans un état critique. Si ces deux destins se retrouvent au sommet de l'attention, c'est parce que la mort de la petite fille s'est frayé un chemin de lumière entre les cris et les débris de l'attaque russe. Les services officiels ukrainiens, puis les premiers médias et, enfin les internautes, n'ont pu contenir leurs émotions.
L'assaut a fait plus de 20 victimes, dont 3 enfants. Mais c'est la poussette de Liza, rose de bonheur puis rouge de sang, qui est devenue le symbole, un de plus, des atrocités d'une agression décidée et menée par Vladimir Poutine.
Ensuite, comme souvent, ce sont les petites fables qui se sont chargées de nourrir la grande histoire. Quelques minutes après le drame, une vidéo fait son apparition sur les réseaux sociaux. On y découvre Liza et Irina en balade sur les trottoirs de Vinnytsia. La fillette pousse fièrement son carrosse pink. Sa mère immortalise, en mode selfie et sans le savoir, la dernière scène de vie de son «ange».
The Ukrainian media published the last video of a mother and daughter taking a walk an hour and a half prior to the missile attack on Vinnytsia. The girl was killed, her mother's leg was ripped off. pic.twitter.com/7LweyCWK5Z
— The Insider (@InsiderEng) July 14, 2022
Une (trop) courte vie d'enfant stoppée bruyamment dans un coin de pays qui aurait dû, pourtant, la préserver du cauchemar des adultes. La famille vivait à Kiev. Le 23 février, peu après le petit-déjeuner et la veille du décapsulage officiel de la guerre par Vladimir Poutine, l'ex-mari d'Irina dépose Liza à la maternelle. Le lendemain, Artem doit rendre la petite à sa maman. Une routine de parents séparés qui explose en une nuit. A 5 heures du matin, le 24 février, les premiers tirs viennent réveiller les tympans d'Artem. Quelques affaires dans le coffre et la petite sous le bras, le papa prend immédiatement la route pour Vinnytsia. Le duo devait faire un détour par l'appartement d'Irina pour «un câlin». Mais les embouteillages en ont décidé autrement.
Mère et fille ne se verront plus pendant un mois et demi. Le 6 mars, dixième jour de guerre, Liza fête son quatrième anniversaire sans pouvoir croquer dans le gâteau qu'Irina a confectionné à distance et à grand renfort de sucre. A côté de la gourmandise, assis comme un ami qui vous veut du bien, la peluche. Les réseaux sociaux feront le reste du job pour rassembler les âmes séparées par les bombes.
Le quotidien de la famille Dmitrieva n'a jamais été simple. Depuis la naissance difficile de Liza, les moments de bonheur sont perturbés à intervalles réguliers. Quatre déménagements en quatre ans, rendez-vous chez l'orthophoniste ou le psychologue, séjours en institut spécialisé ou à l'hôpital.
Liza aimait les animaux de la ferme, courir dans la forêt, se déguiser, poser devant l'objectif de sa maman. Simple, basique. «Elle copie absolument tout ce que je fais! Danses, mouvements, jouer devant le miroir. Si je fais du sport, elle aussi. Si je me maquille, elle aussi.» Une relation fusionnelle qui s'est toujours matérialisée sous les yeux du public. Sur Instagram, Irina dispose depuis longtemps d'une audience suffisamment dodue pour faire de sa fille une petite star.
Parallèlement, la maman a lancé, il y a une année, sa petite entreprise de bibelots à l'effigie du carlin du foyer. L'animal s'appelle «Ben» et revient de loin. Sa famille précédente «le maltraitait». Pour cette maman, «rien n'arrive par hasard». Pas même une boule de poils à queue de cochon.
Le soir du drame, ce jeudi de fête nationale française marquée par les défilés militaires, la première dame d'Ukraine se fend d'un hommage, sur Twitter. Alors que son mari déclarait plus tôt que cette attaque russe était un «acte ouvertement terroriste», Olena Zelenska confesse avoir rencontré la fillette quelques mois plus tôt. A l'occasion du tournage d'une vidéo de Noël, avec de nombreux enfants de l'institut fréquenté par Liza. «Ce soir-là, elle avait réussi à peindre non seulement elle-même, sa robe de vacances, mais aussi tous les autres enfants. Regardez-la vivante, s'il vous plaît.»
Сьогодні з жахом ми побачили фото перекинутого дитячого візочка з Вінниці. А потім, читаючи новини, я усвідомила, що знаю цю дівчинку. Знала… Я не буду зараз писати всі слова, що дуже хотілося б, тим, хто її убив. Я напишу вам про Лізу 1/2 pic.twitter.com/RrkMRfYwRK
— Олена Зеленська (@ZelenskaUA) July 14, 2022
Dans cette histoire, tous les éléments sont réunis pour que l'injustice de toute guerre vienne pomper quelques millilitres de larmes dans les pupilles des plus endurcis. Des détails d'une existence bouleversée et bouleversante que même Netflix ou les publicités Migros n'oseraient réunir, de peur d'en faire trop.
Demeurent, jour après jour, la chair et le cœur, les gamins qui meurent, les victimes innocentes, peu concernées par les desseins froidement géostratégiques d'un seul homme trop puissant pour parvenir à s'en émouvoir. La guerre, elle, continuera sans Liza. «L'ange» de sa maman. Cette fois, pour de vrai.