Cela faisait six mois que Timothy Morales se cachait à Kherson lorsqu'une équipe de recherche des services secrets russes (FSB) s'est soudain présentée à sa porte.
Mais son russe n'était pas suffisant pour le faire passer pour un habitant de la région. Car l'homme de 57 ans est un citoyen américain, professeur d'anglais et originaire de l'Oklahoma.
Il a prétexté à l'officier du FSB qu'il était irlandais et qu'il avait perdu son passeport. Il leur a aussi donné un faux nom: Timothy Joseph. Une voisine a confirmé aux agents que Morales était au-dessus de tout soupçon. L'Américain s'en est tiré avec une belle frayeur, mais indemne.
Morales s'est exprimé auprès d'un journaliste du New York Times après la libération de Kherson:
La visite des agents du FSB reste le pire souvenir du calvaire de huit mois vécu par Timothy Morales. Et s'il l'a échappé belle, c'est, assure-t-il, uniquement parce que les agents russes «n'étaient pas les plus intelligents».
Né en Angleterre, Morales a vécu plusieurs années aux États-Unis avant de partir à Kherson par amour et d'y fonder une école de langues.
Début mars, les Russes envahissent la ville. Son ex-femme et sa fille de dix ans réussissent à quitter la ville. Mais Morales craint d'être embarqué si on l'attrape dans un contrôle routier avec son passeport américain.
Sa peur? Etre brandi comme un «trophée» du Kremlin, qui aime montrer publiquement les Américains capturés et en abuser comme moyen de pression diplomatique, à l'image de la sportive Brittney Griner.
Quelque temps plus tard, Morales tente de s'échapper, en empruntant l'autoroute en direction du nord. Mais il aperçoit, au loin, des chars russes en train de tirer des obus et décide de faire demi-tour.
Il passera les huit mois suivants dans la ville de Kherson, occupée. Durant cette période, son espace vital se limite à son appartement, à celui de son ex-femme et à la courte marche entre les deux.
Morales a toutefois la chance de recevoir de l'aide. Des proches de son ex-femme lui fournissent des vivres. L'Américain peut aussi faire confiance à une vendeuse de l'épicerie du coin, qui connaît son identité, mais ne collabore pas avec l'occupant russe.
Morales peut également compter sur le soutien de ses voisins. Mais il craint toujours peur de croiser quelqu'un dans la rue. Un simple salut ou une remarque irréfléchie avec son accent peuvent le mettre en danger.
L'homme passe donc le plus clair de son temps cloîtré chez lui, sortant tout au plus dans la cour en bas de chez lui, bordée de cerisiers et de noyers, tandis que des soldats russes patrouillent régulièrement.
Il s'occupe comme il peut, regarde les centaines de films disponibles sur son ordinateur portable. Grâce à la connexion Internet de son voisin, il peut même continuer à enseigner l'anglais: «Cela m'a permis de ne pas devenir fou», raconte-t-il.
Au cours des dernières semaines de l'occupation, Morales remarque de plus en plus de signes de désintégration au sein de l'armée russe. Il voit des soldats qui roulent dans des voitures de luxe volées.
«Avec le temps, ils avaient l'air de plus en plus miteux et leur esprit semblait dispersé», raconte Morales. Lorsque les BMW et les Mercedes volées disparaissent, parties avec les Russes qui les emmènent par-dessus le Dnipro sur des ferries, Morales reprend espoir.
Le 11 novembre, jour de la libération, il voit passer une voiture avec un drapeau ukrainien dans la rue: «C'est là que j'ai su que les Russes étaient partis.»
Comme de nombreux autres survivants de l'occupation, Morales s'est rendu sur la place centrale de la ville pour saluer les libérateurs et se procurer de la nourriture.
Les conditions d'approvisionnement de la ville, qui comptait près de 300 000 habitants avant la guerre, sont toujours précaires; l'électricité, l'eau et le chauffage ont été coupés. Mais ce n'est pas la raison pour laquelle Morales veut s'en aller:
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker