Deux véhicules blindés de l'armée russe s'approchent d'un chemin forestier. Après une brève hésitation, le char de grenadiers s'élance le premier et saute sur une mine. Le nuage de la détonation est à peine dissipé que le char de combat tente de faire de même, exactement au même endroit et avec le même résultat.
La scène a été filmée par un drone de reconnaissance ukrainien près de Vouhledar. La vidéo fait désormais le tour des médias sociaux, en même temps que plusieurs autres. Elles montrent toutes la même chose: des efforts d'attaque mystérieux et désespérés de l'armée russe. La tentative de prise de la petite ville aurait coûté jusqu'à présent à la Russie un bataillon entier, état-major de commandement compris, et plus de 30 véhicules blindés.
Est-ce le début de l'offensive hivernale russe annoncée par de nombreux experts, avec jusqu'à 2000 chars et 300 000 soldats d'infanterie?
Erreur, affirme Phillips P. O'Brien. L'offensive hivernale annoncée est purement alarmiste. Selon cet historien et professeur de sciences de la guerre à l'université de St. Andrews, elle n'aura jamais lieu. Dans une newsletter, il justifie son point de vue à l'aide de quatre indices.
Il y a un an, alors que la Russie se préparait à envahir l'Ukraine, un catalogue d'images satellites du déploiement des troupes à la frontière a circulé. Les préparatifs de guerre pouvaient être suivis presque en direct. De telles images des prétendus 2000 chars et 300 000 soldats qui doivent être prêts pour l'offensive n'existent pas. Pas même une trace.
Par ailleurs, la question de savoir si la Russie dispose encore d'autant de matériel de guerre se pose. Récemment, des sources américaines ont indiqué que la Russie pourrait déjà avoir perdu la moitié de son arsenal de chars en Ukraine.
Une armée doit être approvisionnée en munitions, en carburant, en nourriture et en troupes fraîches. La Russie a des problèmes chroniques dans ce domaine. On l'a vu lors de l'échec du convoi sur Kiev, et les conditions sont encore plus difficiles aujourd'hui.
Depuis quelques mois, l'armée ukrainienne peut recourir à des lance-roquettes Himars de haute précision. A peine mis en service, ils ont permis de détruire divers dépôts de munitions russes. La Russie a dû réagir et a transféré les dépôts capitaux à 100 kilomètres en arrière du front, hors de portée des Himars.
Mais la grande distance qui les sépare du front pose désormais des problèmes aux envahisseurs pour l'approvisionnement de leurs propres troupes. L'approvisionnement en camions n'est pas fiable. Des vidéos de mercenaires de Wagner désespérés se plaignant du manque de munitions dans des positions près de Bakhmout circulent.
Il n'existe pas d'indices montrant que la Russie peut pallier ces faiblesses et même approvisionner avec succès une armée beaucoup plus importante. Selon O'Brien, il est illusoire de vouloir lancer une attaque de grande envergure dans ces conditions.
Une attaque réussie est menée simultanément par des unités terrestres et aériennes à partir de différentes positions. Depuis le début de la guerre, la Russie n'a toujours pas prouvé qu'elle était capable de mener à bien une telle manœuvre coordonnée. Les efforts d'attaque actuels, comme expliqué dans l'introduction, sont des indices de l'absence de planification de l'action russe. Les attaques semblent non coordonnées, irréfléchies et inhumaines à l'égard de leurs propres soldats. De plus, la Russie n'a pas la maîtrise de l'espace aérien au-dessus de l'Ukraine.
Les troupes anéanties à Vouhledar n'étaient pas des détenus non entraînés, mais des unités d'élite des 40e et 155e régiments d'infanterie de marine. Les observateurs occidentaux ne sont pas les seuls à se frotter les yeux. Le célèbre nationaliste russe Igor Girkin s'en prend violemment à son propre commandement militaire sur Telegram: «Seuls les imbéciles absolus attaquent toujours de front», analyse-t-il, frustré.
Ce partisan de la guerre pense même que l'offensive de Vouhledar était la dernière du genre. La Russie n'est pas capable de faire plus.
L'Ukraine elle-même a alimenté la théorie de la grande offensive au cours des dernières semaines: «Nous voyons avec combien de troupes la Russie attend à la frontière», a annoncé le ministre de la Défense, Reznikov, il y a quelques jours, juste au moment où le président Zelensky était en tournée européenne pour demander à la France et à l'Angleterre des avions de combat modernes. L'urgence de la menace a servi de base de négociation.
La première partie de la déclaration de Reznikov est certainement correcte: «Nous voyons...». Le commandement de l'armée ukrainienne a accès aux images de plus de 200 satellites commerciaux américains. Parmi eux se trouvent également des satellites radars qui peuvent fournir des informations à n'importe quel moment de la journée et par n'importe quel temps. L'UE transmet aussi des photos classifiées à Kiev.
Les défenseurs savent donc assez précisément où se trouvent les troupes russes, leur nombre, et peuvent réagir en conséquence.
O'Brien ne veut pas pour autant crier «victoire» à l'Ukraine. Il pense que l'Ukraine a également des difficultés. La plus importante est le manque de munitions.
Traduit de l'allemand (nva)