C'est une proposition étonnante qu'a faite Keith Kellogg. Samedi, le représentant de Donald Trump pour l'Ukraine a partagé une proposition qui a dû provoquer un certain émoi à Kiev, mais aussi dans de nombreuses capitales européennes. Kellogg, selon un communiqué diffusé par plusieurs agences de presse, appelle à de nouvelles élections dans le pays attaqué par la Russie – et ce, rapidement.
La nouvelle a été quelque peu noyée dans les remous provoqués par la politique douanière agressive de Trump. Pourtant, elle pourrait devenir l'un des événements les plus importants de ces presque trois années de guerre:
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Ce processus peut paraître tout à fait anodin et normal dans une démocratie, mais ne l'est pas du tout dans ce cas. En effet, l'Ukraine n'est pas une démocratie normale, le pays est en guerre contre la Russie depuis trois ans et l'état d'urgence politique dans le pays dure depuis presque aussi longtemps. Sans la loi martiale ukrainienne, le mandat du président ukrainien Volodymyr Zelensky aurait expiré l'année dernière.
En effet, même en Ukraine, certains – en particulier des voix critiques envers Zelensky – ont régulièrement demandé de nouvelles élections ces derniers mois. Mais de l'avis de nombreux observateurs internationaux, le président de 46 ans fait office de figure de proue de la survie de son pays. Zelensky représente la volonté inébranlable de l'Ukraine de s'opposer aux agressions continues de la Russie.
La station de radio américaine NPR l'a qualifié d'«icône de la lutte pour la liberté en Ukraine». La chaîne NBC a même parlé d'un «phénomène mondial» de résistance démocratique. Et l'ancien secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken a remercié à plusieurs reprises Zelensky pour «le courage extraordinaire, le leadership et le succès que vous avez obtenus en repoussant cette terrible agression russe».
Zelensky est donc une épine dans le pied du dictateur du Kremlin à plus d'un titre.
Le président russe ne l'avait sans doute pas vu venir. Selon des informations concordantes des services de renseignement, il ne s'attendait tout simplement pas à ce que Zelensky s'oppose à lui et à son armée en février 2022. Poutine a sous-estimé l'ancien comédien et star de la télévision. Il tente désormais de se débarrasser de lui par d'autres moyens, et Poutine pourrait avoir identifié dans le nouveau gouvernement américain un allié potentiel.
Il y a quelques jours, le maître du Kremlin a fait savoir qu'il ne participerait pas à des négociations de paix si Zelensky y est associé. Dans ce cas, il se contenterait d'envoyer des émissaires aux négociations. Le plus grand problème pour le succès de sa guerre contre l'Ukraine ne réside donc apparemment pas dans les défis du champ de bataille ou dans les problèmes de l'économie nationale, mais dans la personne de Volodymyr Zelensky.
Si des élections présidentielles devaient effectivement avoir lieu en Ukraine dans le cadre d'un cessez-le-feu, le vainqueur pourrait signer un accord à plus long terme avec la Russie, ont indiqué des initiés américains.
Mais une élection en Ukraine représente une opportunité inespérée pour Poutine. Comme dans le cas de la Géorgie ou de l'influence présumée de la Russie en Moldavie, en Roumanie et dans de nombreux autres pays européens, le Kremlin tentera d'influencer une éventuelle élection en Ukraine en sa faveur – probablement en soutenant massivement un candidat fidèle à Moscou. Des plans à cet effet étaient déjà prêts avant l'invasion de l'Ukraine.
Viktor Medvedtchouk est l'homme que Poutine avait déjà choisi pour succéder à Zelensky. Il devait s'installer dans le palais présidentiel de Kiev après l'invasion des troupes russes et combler les souhaits de Poutine. Mais le plan a échoué parce que Zelensky n'a pas fui à l'étranger dès les premiers jours de la guerre, comme le supposait Poutine, mais a enfilé un t-shirt militaire vert olive et appelé son pays à résister à l'agression russe.
Au contraire, c'est Medvedtchouk qui a dû fuir Kiev après que le gouvernement a confisqué ses biens. Il a toutefois été appréhendé par les services secrets ukrainiens SBU, interrogé, puis échangé contre 215 prisonniers ukrainiens et transféré à Moscou. Entre-temps, l'oligarque et ami de Poutine aurait retrouvé une richesse considérable. Avec sa fortune, il finance entre autres le projet de propagande Voice of Europe, qui doit amener les parlementaires européens à des positions favorables à la Russie.
Kiev n'a pas encore réagi à la proposition controversée du représentant de Trump. Moscou s'est également refusé à tout commentaire. Toutefois, en Ukraine comme dans les milieux diplomatiques occidentaux, on craint qu'une campagne électorale et la levée de la loi martiale qui en découlerait n'affaiblissent considérablement le pays. D'une part, en fixant une date pour les élections, Zelensky serait considéré comme un président en attente, d'autre part Poutine pourrait étendre alors massivement sa guerre hybride et inonder l'Ukraine de désinformation.
De nombreux soldats ukrainiens pourraient également tourner le dos à leur armée et même à leur pays, car Volodymyr Zelensky – le symbole de la résistance – ne serait alors peut-être plus en fonction.
Un fin connaisseur des milieux gouvernementaux ukrainiens confie que le président russe utilise la question des élections ukrainiennes comme prétexte pour ne pas respecter d'éventuels accords. Si Poutine fait des élections ukrainiennes une condition, il aura plus tard une excuse pour ignorer d'éventuels accords auxquels Zelensky aurait participé. Un ancien représentant du gouvernement d'un pays occidental souligne que Trump joue le jeu de Poutine en exigeant des élections en Ukraine:
Trump lui-même a affirmé dimanche à Washington:
Le président américain a exprimé à plusieurs reprises son opposition aux milliards d'aide à Kiev. L'Ukraine craint d'être contrainte de faire des concessions importantes à la Russie.
De nombreux experts et politiciens ont souligné que la menace qui plane sur le gouvernement démocratique de Kiev était purement imaginaire. Et que Poutine n'a pas non plus pour objectif de «libérer le peuple ukrainien», comme il le prétend – il l'a lui-même prouvé en tuant des dizaines de milliers de personnes au cours de la guerre qui dure maintenant depuis trois ans et en poussant des millions d'autres à la fuite. La menace dont il parle lorsqu'il évoque le prétendu régime de Kiev est sans doute plutôt celle qu'il ressent lui-même.
Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’État américaine, a rencontré Vladimir Poutine à plusieurs reprises au fil des décennies dans le cadre de ses fonctions diplomatiques. Dans un article pour le New York Times, elle le décrivait comme « petit, pâle, presque aussi froid qu’un reptile ». Selon elle, le dirigeant russe a abandonné la voie démocratique pour transformer son pays « selon un modèle stalinien ». Convaincu que les États-Unis imposent leur influence dans la région par la force, il s’estime en droit d’en faire autant.
Désormais, Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche. Poutine, qui l’a côtoyé lors de son premier mandat, sait qui il peut s’attendre. L’ancien magnat de l’immobilier n’a jamais caché sa fascination pour les «hommes forts» qui dirigent sans partage: Kim Jong Un, Recep Tayyip Erdoğan, Xi Jinping… et bien sûr Vladimir Poutine. «C’est un véritable leader», avait-il déclaré à son sujet.
Dans une récente interview avec le propagandiste russe Pavel Zaroubine, Poutine, 72 ans, a affirmé que l’Europe finirait par se soumettre aux Etats-Unis – un scénario qui servirait parfaitement le Kremlin. «Ça ira vite. Ils se mettront tous aux pieds de leur maître, en remuant gentiment la queue», a-t-il lancé. La proposition de Keith Kellogg, conseiller de Trump sur l’Ukraine, d’organiser de nouvelles élections pourrait bien être la première étape pour imposer cette nouvelle réalité aux Européens. Volodymyr Zelensky, lui, a sans doute pris bonne note.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci