L'invasion de l'Ukraine, que Vladimir Poutine avait imaginé n'être qu'une brève intervention militaire, s'est avérée être une lutte acharnée, coûteuse et avec de nombreuses pertes. Un état de fait qui n'échappe pas aux membres de l'armée russe, qui évitent généralement d'exprimer leurs critiques publiquement. La peur de représailles de la part de Poutine est trop grande.
Evgueni Prigojine, le patron du fameux groupe de mercenaires Wagner, s'est lui aussi tenu en retrait pendant des années. Mais il met de plus en plus en avant son rôle de chef de guerre, en soulignant l'importance de son groupe dans des succès militaires en Ukraine.
Celui qui entretenait autrefois de très bonnes relations avec Vladimir Poutine semble s'être affranchi de la censure et ose désormais régulièrement critiquer directement le gouvernement de Poutine.
Le fossé qui semble se creuser lentement entre le groupe Wagner et Poutine s'est particulièrement fait sentir lors de la récente prise de Soledar. Le 10 janvier, le groupe Wagner a en effet annoncé qu'il avait capturé la ville de Soledar, dans l'est de l'Ukraine, sans l'aide des troupes russes.
Quant au ministère russe de la Défense, il n'a annoncé la prise de la localité que trois jours plus tard. Et ce, sans mentionner le groupe Wagner. Celui-ci ne s'est pas laissé faire et a accusé le ministère de la Défense de s'approprier les succès du groupe de mercenaires.
Le soir même, le ministère de la Défense s'est vu contraint de revenir sur ses déclarations: un groupe hétérogène a collaboré au succès de la prise Soledar.
Il est très inhabituel que le gouvernement de Poutine loue le groupe Wagner en des termes aussi élogieux. Il y a encore peu de temps, Poutine ne voulait pas entendre parler, du moins en public, de cette troupe de mercenaires. Le hic: celui-ci semble plus efficace sur le terrain ukrainien que l'armée russe, ce qui place Poutine dans une situation délicate.
Ce petit évènement dans la communication du Kremlin a démontré le poids et l'influence du groupe Wagner. En conséquence, Evgueni Prigojine, s'est créé un espace dans lequel il peut émettre des critiques sans craindre de représailles. Et depuis quelques jours, il se sent pousser des ailes...
Ce mardi, quelqu'un a demandé au chef du groupe Wagner ce qu'il pensait des dernières réglementations du ministère russe de la Défense. Selon celles-ci, les soldats doivent en effet se raser la barbe et renoncer à leurs tablettes et smartphones.
«Est-ce que le groupe Wagner va connaître des restrictions similaires?», demande-t-on. Prigojine ne cache pas qu'il ne voit pas du tout l'intérêt de ces nouvelles réglementations. Voici sa réponse:
De plus, indique-t-il, une grande partie de son groupe porte la barbe pour des raisons religieuses. Et en ce qui concerne les tablettes et les smartphones? Ce sont des «outils indispensables à la guerre moderne», explique-t-il. Ils fournissent des données géographiques précises, y compris l'altitude et d'autres particularismes liés au terrain. De plus, certaines unités spéciales ne peuvent transmettre leurs données que grâce à ces appareils.
Prigojine considère que ces exigences requises par le haut-gradé russe, le lieutenant-général Sobolev, sont archaïques, datent des années 1960, et témoignent d'un manque de formation militaire moderne. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles la qualité des combats en pâtit, estime de manière critique le «cuisinier de Poutine».
Et après, le chef du groupe Wagner se lâche:
Prigojine critique le fait que, plutôt que d'insister sur le développement des équipements militaires, les hauts-gradés russe ne pensent qu'aux parades et aux spectacles et se vautrent dans la flatterie à outrance. Et il ajoute:
A la fin de sa tirade, il adopte à nouveau un ton plus conciliant, voire un peu moqueur: contrairement aux soldats au front, lui a suffisamment de temps pour suivre les instructions du lieutenant-général et se rase donc presque tous les jours.
Avec ses déclarations, Prigojine essaie de fragiliser la confiance dans le ministère russe de la Défense, soupçonne l'Institut américain d'études sur la guerre (ISW). En parallèle, il tente de se profiler comme le visage du véritable chef de «l'opération militaire spéciale» en Ukraine.
Mercredi encore, il ne s'est pas retenu dans ses critiques. Cette fois-ci, il s'en est pris directement à l'administration de Poutine et a accusé les fonctionnaires qui y travaillent d'être des traîtres. L'ISW estime qu'il s'agit de l'une des attaques les plus flagrantes de Prigojine contre le Kremlin.
Sa critique portait sur un débat ayant lieu en Russie qui concerne l'interdiction de Youtube sur le territoire national. Pour Prigojine, les choses semblent en effet très claires: Youtube doit être interdit. Il y affirme que près de 40% du contenu de la plate-forme vidéo est antirusse.
Selon lui, ceux qui s'opposent à cette interdiction anticipent un monde dans lequel la Russie aurait perdu contre l'Ukraine et voudraient garder de bonnes relations avec l'Oncle Sam. «Ces fonctionnaires espèrent que les Etats-Unis leur pardonneront tous leurs péchés après la perte de la guerre», indique-t-il. Il s'emporte:
Youtube sera certainement désactivé en Russie dans un avenir proche, affirme-t-il avec conviction.