L'influence russe s'étend en Afrique, sous couvert de lutte contre le djihadisme. Mais contrairement aux armées occidentales, qui envoient des militaires professionnels, la Russie a décidé d'envoyer des mercenaires.
Au Mali, après une année de présence, le constat est amer. Non seulement les Russes n'arrivent pas à maintenir les avancées des deux principaux groupes djihadistes locaux (voir ci-dessous), mais leur brutalité envers la population civile pousse les habitants dans les bras des djihadistes.
Dans un article complet du magazine Couter-terrosim center (CTC) Sentinel, publié par l'Académie militaire américaine de West Point, le journaliste français Wassim Nassr décortique les agissements du groupe Wagner au Mali depuis une année.
En décembre 2021, le président de la junte au pouvoir, le colonel Assimi Goïta, prend contact avec la milice Wagner. Le but? Porter assistance à l'armée malienne pour sécuriser le pays face aux groupes djihadistes, alors que le gouvernement français a annoncé son intention de se retirer.
Une offre est trouvée: en échange de près de 11 millions de dollars mensuels et de concessions minières, le groupe de mercenaires russes accepte de former et soutenir militairement la junte au pouvoir dans ses actions face aux djihadistes.
Le début de l'année 2022 est un tournant. En janvier, plusieurs centaines de mercenaires de Wagner débarquent au Mali. En février, Emmanuel Macron annonce que la France va retirer ce qui reste de ses troupes. Et en mars, la situation se dégrade, déjà, rapidement.
Car les mercenaires de Poutine ne font pas dans la dentelle. Accompagnant l'armée malienne, ils lancent des attaques sur des villages tenus par les djihadistes, considérant les civils comme des menaces potentielles, affiliées aux combattants armés.
Partout où les mercenaires passent, c'est la mort qu'ils laissent derrière eux. Les meurtres sont accompagnés de pillages, de viols et même de vol de bétail. Les Nations Unies et l'ONG Human Rights Watch dénoncent de «nombreux cas de violences indiscriminées envers des civils». Une stratégie brutale et volontaire:
Quelques exemples: dans le village de Danguéré-Wotoro, «35 corps brûlés ont été exhumés». Dans le village frontalier de Ségou, 33 civils sont tués, pour la grande majorité des Mauritaniens. Le pire a lieu à la fin du mois: après un siège de quatre jours autour de Moura, l'armée malienne et Wagner rentrent dans la petite ville et massacrent entre 300 et 600 civils.
Selon la RTS, qui cite le collectif international de recherche en open source «All eyes on Wagner», au moins 344 civils ont péri dans les six premiers mois de 2022 dans des opérations de l'armée malienne, avec le soutien du groupe Wagner.
La méthode russe n'aura, sans surprise, pas porté les fruits espérés. C'est même le contraire qui a lieu: les djihadistes, qui connaissent le tissu social local, recrutent parmi les locaux qui en ont assez des exactions perpétrées par Wagner.
En mars et avril 2022, les groupes djihadistes locaux mènent des contre-offensives «pour venger les massacres perpétrés par les mercenaires de Wagner et l'armée malienne». Ironie de l'histoire, l'une d'elles, menée contre une base malienne, verra 40 soldats maliens tués tandis que Wagner n'aura pas bougé le petit doigt.
Dans la foulée de ces attaques, le GSIM recrute à grand bras au sein des tribus locales et se finance via des collectes de dons dans les marchés et les mosquées présents sur son territoire. Comme en Syrie, la carte des forces en présence est caractérisée par un enchevêtrement complexe, basé sur des rancœurs historiques et des alliances de circonstance. Les djihadistes recrutent auprès des Peuls, par exemple, qui accusent le gouvernement malien de les persécuter, et des Touaregs, qui combattent l'Etat islamique.
Pendant ce temps, Paris a graduellement rapatrié ses militaires depuis le début de l'année. Les dernières troupes françaises encore en poste quittent le Mali le 15 août. Le même mois, la Russie est officiellement pointée comme ennemie déclarée par le GSIM.
Durant l'été, les attaques des groupes djihadistes se multiplient, malgré la saison des pluies. En parallèle, les cas de prises d'otages se multiplient aussi, notamment de citoyens occidentaux. Selon un expert de l'ONU cité par Le Temps, au lendemain du départ des forces françaises, les trois quarts du pays seraient sous influence djihadiste.
Le GSIM progresse à l'ouest et au sud du pays, tandis que l'Etat islamique progresse à l'est. Le groupe Wagner fait peu de choses pour les ralentir. Il faut dire que, comparé à l'armée française, le groupe de mercenaires n'a pas l'expérience de la chasse aux djihadistes. En outre, il peine à se coordonner avec son soutien aérien (bien qu'il dispose d'hélicoptères) et il «dépend complètement de l'armée malienne pour sa logistique».
La propagande du GSIM met en avant des attaques «contre des cibles exclusivement militaires», ce qui accroît leur sympathie au sein de la population civile. Des tueries ont toutefois bel et bien lieu. La plus sanglante a eu lieu dans la ville de Dialassagou, en juin, où le groupe a massacré 132 civils, accusés «d'avoir collaboré avec l'armée malienne».
Fort de ses succès, le groupe djihadiste ose désormais s'aventurer dans les centres urbains, où il cible des militaires maliens en poste.
Le GSIM mène également des attaques contre la Minusma, la mission des Nations Unies au Mali qui compte environ 12 000 hommes. Des pays comme l'Egypte retirent immédiatement leurs troupes, d'autres les suspendent ou menacent de se désengager, à l'instar du Royaume-Uni et de la Suède, ou des voisins le Bénin et la Côte d'Ivoire.
L'Allemagne, qui sécurise une partie de l'aéroport de Gao, où se trouvent également des mercenaires de Wagner qui ont remplacé les Français dans leurs baraques, menace de se retirer également, selon la RTS. Au total, cela représenterait prêt d'un quart de Minusma.
Ces désengagements pourraient encore accélérer la détérioration de la situation. La Minusma est responsable de l'évacuation médicale des blessés de l'armée malienne, de la sécurisation des axes routiers principaux du pays et de la documentation des violations des droits de l'homme.
Même les Etats-Unis, dont le Sahel ne fait d'habitude pas partie de la sphère d'influence, se sont exprimés sur le sujet. Le Département d'Etat américain a ainsi ouvertement accusé le gouvernement malien et le groupe Wagner de fragiliser la mission des Casques bleus sur le terrain.
La situation déborde désormais sur le Burkina Faso, le voisin situé à l'est du Mali, où le GSIM et l'EI sont aussi actifs. Le groupe Wagner a indiqué son intention d'y mener des missions sous contrat, tandis que le pays se remet péniblement d'un coup d'Etat militaire mené en septembre.
Une situation qui n'est pas souhaitable. Après une année de présence russe au Mali, le bilan est catastrophique. Le nombre de civils tués au Mali durant les six premiers mois de l'année 2022 aura dépassé ceux de toute l'année 2021. Le bilan définitif de l'année devrait voir ce chiffre encore passablement augmenter.
En une année, les Russes ont détruit les efforts fournis par la France, dans la région depuis 2013. L'engrenage de violence est lancé au Mali et rien ne semble pouvoir l'arrêter.