Si vous avez déjà partagé un GIF de Michael Jordan pleurant, d’Oprah Winfrey s’exprimant avec enthousiasme ou de Nicki Minaj levant les yeux au ciel, vous avez peut-être participé sans le savoir à une pratique controversée: le digital blackface. Ce terme désigne l’utilisation par des personnes non noires d’images, de mèmes ou de GIFs associés à la culture noire pour exprimer des émotions ou des idées sur Internet.
A première vue, ces partages semblent anodins, voire amusants. Pourtant, selon Tempest M. Henning, profeseure de philosophie à l’Université Fisk aux Etats-Unis, ces images populaires cachent une forme d'appropriation culturelle qui soulèverait des questions importantes. D'après elle, le digital blackface pourrait être comparé aux spectacles du XIXᵉ siècle appelés minstrelsy, où des artistes blancs se maquillaient en noir pour caricaturer et ridiculiser les personnes noires.
En 2017, des médias tels que Teen Vogue mettaient déjà en lumière les dangers de cette pratique. Dans sa tribune, Lauren Michele Jackson, professeure en études afro-américaines à l’Université de Northwestern, expliquait que l'utilisation de ces images par des personnes non noires peut réduire la culture noire à des clichés simplistes, comme l'exubérance ou la colère, sans comprendre le contexte culturel derrière ces expressions.
De nos jours, de nombreux GIF et mèmes récents mettent en scène des personnes noires pour exprimer des émotions fortes, comme les réactions virales de Ru Paul ou les expressions exagérées de Kayla Nicole lors de ses vidéos TikTok. Ces images sont souvent utilisées par des internautes non noirs pour illustrer la surprise, l’agacement ou l’excitation, mais leur diffusion interroge. Selon Teen Vogue, en réduisant ces individus à des expressions stéréotypées, elles participeraient à une forme de «digital blackface», où les émotions des personnes noires sont utilisées comme des outils comiques, décontextualisés et caricaturaux.
Les plateformes comme Giphy ou Tenor, sites où les mèmes et GIFs sont regroupés, sont accusées de renforcer le phénomène avec des suggestions de recherche ciblées, souvent basées sur la couleur de peau ou des traits corporels, ce qui montrerait que la demande pour ces images s’accompagne d’une hiérarchisation implicite des corps et des émotions.
Au final, pour certains experts, même si ces GIFs peuvent sembler inoffensifs ou amusants, ils reproduiraient des clichés raciaux anciens et effaceraient la complexité des personnes noires.