«Je ne suis là ni pour le dézinguer ni pour le faire chuter.» Virginie Vilar est journaliste. Lorsqu'elle balance cette phrase à un collègue du Point, elle est encore en plein montage. Dans quelques heures, «Cyril Hanouna: le nouveau parrain du PAF», un boulot qui lui aura mangé dix mois de sa vie, sera diffusé sur France 2, dans Complément d'enquête. Sans aucun doute le programme télévisuel français le plus attendu de l'année.
C'est peut-être pour cette raison qu'une très généreuse grappe de journalistes a eu l'autorisation de jeter un oeil privilégié sur ce document de cinquante-deux minutes. Si bien que depuis mardi, quasi tous les médias parisiens se succèdent pour révéler «en exclusivité» le contenu de ce qui est vendu comme un gros levé de voile sur le système Hanouna, «capable de faire et défaire des carrières, ou de distribuer les coups de pression et les menaces».
Pour mener ce portrait à bien, l'équipe de France 2 ont sollicité 250 personnes, dont 32 collaborateurs du présentateur de TPMP. Tous n'ont pas répondu présents. Les producteurs racontent qu'ils se sont cognés contre «la peur des représailles», ce qui expliquerait aussi les nombreux témoignages anonymes. Beaucoup de monde, mais un grand absent: Cyril Hanouna lui-même, qu'ils tentent d'alpaguer depuis très longtemps, et parfois jusque sur les réseaux sociaux, pour qu'il daigne accepter l'invitation. En vain. Idem pour les cadres de la chaîne C8 ou Vincent Bolloré, patron du groupe Canal+.
Des pressions? Oui, mais moins que pour d'autres enquêtes, dira le présentateur de l'émission sur FranceInfo, en citant celle sur la milice Wagner ayant provoqué des menaces de mort, «envoyées vocalement par Prigojine» lui-même, à l'un des journalistes de l'émission d'investigation.
Un peu de contexte. Complément d'enquête vs Cyril Hanouna, c'est une guerre marathon qui se déroule sous les yeux du public. Et tout le monde y trouve son compte, voire un petit plaisir malsain. D'un côté, Tristan Waleckx, «l'intervieweur en fauteuils rouges», de l'autre, le «parrain du PAF». Avec le réseau X en guise d'octogone. Un temps, la moindre actualité de l'animateur de TPMP suscitait une publication du journaliste de France 2, rappelant que Cyril Hanouna n'avait toujours pas accepté d'interview.
Et France 2 l'a bien compris puisque la bande-annonce ne contient quasiment que des séquences de l'animateur évoquant lui-même Complément d'enquête.
Mais depuis que le boulot des journalistes a démarré, c'est le trublion de C8 qui n'hésite pas à en faire mention à l'antenne, pectoraux de sortie, pour s'en moquer. Un duel de provoc' et d'esbroufe qui, s'il eût quelque chose de divertissant, a finalement abouti à une bande-annonce coincée dans une espèce d'entre-soi aussi dérangeant que révélateur: si l'enquête sur Cyril Hanouna a abrité autant d'attente – l'extrait a été visionné plusieurs dizaines de millions de fois sur la plateforme d'Elon Musk – la star en est paradoxalement le principal détonateur du tapage.
Au début, il était ravi. Puis #ComplementDenquete a enquêté… et il a promis de nous supprimer !
— Tristan Waleckx (@tristanwaleckx) November 27, 2023
Révélations sur Cyril Hanouna, le nouveau parrain du PAF, ce jeudi à 23h
pic.twitter.com/oRljbu7p2s
Au final, on peine à déterminer qui des deux adversaires est le plus fier, le plus en colère, le plus impressionné et le plus inquiété. Une chose est sûre, l'attitude de Cyril Hanouna et l'assiduité inédite avec laquelle les équipes de France 2 en font la promotion depuis deux jours, soulignent une énième fois la popularité, l'influence, le fantasme et le mystère entretenus par le principal intéressé.
Légitimant, au passage, la présence de cette émission, à l'antenne, jeudi soir. Une question se posait, néanmoins: hormis le succès d'audience auquel il est automatiquement promis, le contenu de cette enquête mérite-t-il cet exceptionnel tintamarre?
Pas vraiment. Déjà, sur les 32 collaborateurs (chroniqueurs, techniciens, collaborateurs) à qui le service public a demandé du biscuit sur le patron, seule la chroniqueuse Valérie Bénaïm a bien voulu s'exprimer à visage découvert.
Anonymement (voix trafiquées, silhouettes, parfois même des comédiens avec des sous-titres), les témoignages sont moins polis: «Il est capable d'une grande méchanceté, des pires crasses. Il fait régner une ambiance de terreur. Il exerce une vraie emprise».
On y entend aussi Louis Boyard, auteur d'un coup de gueule prémédité contre le business du patron de Canal+, il y a quelques mois, sur le plateau de TPMP.
Le député LFI évoque un animateur «totalement soumis à Vincent Bolloré et se dit «pour un mouvement de libération de Cyril Hanouna». Tout le paradoxe est là. Et pas seulement dans le document de France 2. Le riche roi du PAF est tour à tour présenté comme une simple marionnette du grand capital et en puissant chef de meute, tyrannique, manipulateur, menaçant. Mais c'est son manque de déontologie qui sera particulièrement épinglé jeudi soir, pour des séquences «bidonnées», «scénarisée».
C'est peut-être le volet le plus étayé de l'enquête. En mars dernier, en pleine réforme des retraites et sur le plateau de TPMP, Cyril Hanouna présente (à tort) des policiers comme des membres de la Brav-M, la brigade controversée de répression de l'action violente motorisée.
France 2 révèle que non seulement TPMP savait que Cyril Hanouna présentait des policiers qui n'étaient pas de la Brav-M.
— David Perrotin (@davidperrotin) November 29, 2023
Mais, en plus, elle n’a pas hésité à livrer à l'IGPN les identités complètes de ses témoins à qui elle avait... promis l’anonymat. https://t.co/zMvXdqC4IB pic.twitter.com/Vi2wddyiHA
L'un deux, au micro de Complément d'enquête, révèle notamment comment la production l'aurait mené en bateau. Plus grave, à la suite d'une enquête de la police des polices, la production de TPMP a balancé l'identité des témoins sous cagoules. La justification des producteurs a de quoi surprendre:
Le reste? C'est moins croustillant. Notamment tout un volet sur la mécanique (peu surprenante) de l'émission, révélée par un collaborateur de longue date, toujours de manière anonyme: «Sur la table de droite, ce sont les gens les plus importants. La première place à droite est celle du copilote. Et il y a la place de la potiche». Un rôle tenu pendant trois mois par la journaliste de Forbes France Jessie Claire, qui déclare à Complément d'enquête qu'elle était «le nouveau bout de viande» et qu'elle n'avait pas «signé pour ça».
Si ses entrées au coeur du pouvoir politique ne sont pas du tout évoquées, son porte-monnaie et ses joujoux se voient offrir une petite place en fin d'enquête. Dont un yacht Lamborghini (si, si, ça existe), baptisé «Bianchino», contraction des prénoms de ses enfants. Un bolide flottant fabriqué à 63 exemplaires et trois millions d'euros.
Les journalistes révèlent que Cyril Hanouna ne rémunérerait pas son équipage en France pour éviter de payer les charges sociales et se louerait le yacht à lui-même pour ne pas s'acquitter de la TVA, «sur une facture de plus de 5 000 euros d'essence». Une information qui pourrait chatouiller l'animateur.
En conclusion, cette enquête voudrait dire beaucoup, mais semble raconter, peut-être avec d'autres détails, d'autres angles et par le truchement d'autres voix, ce qu'on savaient déjà ou que certains soupçonnent chez celui qui anime l'émission la plus sanctionnée du paysage audiovisuel français.
Beaucoup veulent un morceau de son succès arrivé sur le tard, mais il fera tout (et parfois trop et très mal) pour ne pas le brader. Et le mélange est forcément, au mieux, explosif. A-t-il désormais trop de pouvoir? La question est légitime, mais la réponse n'a pas trouvé de véritable écho jeudi soir.
Jeudi soir, Complément d'enquête a malgré tout revêtu un caractère exceptionnel, car trois publics étaient scotchés à leur téléviseur: les antis qui rêvent de le voir tomber, les groupies qui s'empresseront de flinguer le service public et... ceux qui en auront peut-être appris davantage sur la personnalité la plus redoutée, adulée, puissante et controversée de France.
S'il n'a pas sans doute grand-chose à craindre avec ce portrait brossé en dix longs mois, sa vengeance, elle, est déjà armée: «On dirait qu'on parle d'une finale de Coupe du monde. Je vous le dis, ici on prépare un Complément d'enquête sur Complément d'enquête et France 2. On a déjà du lourd», fanfaronnait Hanouna, jeudi soir, dans un TPMP qui a consacré une bonne partie de son créneau horaire à... Complément d'enquête. Une contre-émission qui a été confiée à Jacques Cardoze, chroniqueur chez Cyril et ancien présentateur de... Complément d'enquête.
Vous n'avez rien compris? C'est normal. Et ce n'est pas bien grave. Pour l'instant.