Il y a deux ans, quand le Valaisan Philippe Nantermod s'était pointé sur l'estrade avec une casquette «PLR 2023» sur le crâne, on l'avait accusé de singer Donald Trump. Pire encore, un mois plus tôt, lorsque le PS français a cru bon de plagier le slogan du milliardaire républicain en brandissant un très maladroit «Make la gauche great again» sur la visière.
En Suisse, et en Europe de manière générale, lancer une campagne politique comme un groupe de rock décapsule une tournée mondiale, c’est casse-gueule.
La politique à l'américaine, bourrée de goodies et de slogans qui claquent, ce sont encore les Américains qui le font le mieux. (Comme les burgers.)
Il faut dire qu'ils sont plutôt rodés. Selon le National Museum of American History, le premier t-shirt politique daterait de 1948, imprimé à l'occasion de la campagne du gouverneur républicain de New York, Thomas Dewey. Un slogan à jeu de mots et son portrait s'étaient alors retrouvés sur le torse de ses plus fervents supporters.
S'il a fini par perdre l'élection présidentielle face au démocrate Harry S. Truman, sa stratégie a eu un tel impact sur l'opinion publique qu'elle inspirera Dwight D. Eisenhower quatre ans plus tard. Si, depuis, les goodies politiques n'ont cessé de prendre de l'essor dans les deux camps, il faudra attendre Donald Trump, en juillet 2015, pour qu'un simple accessoire se transforme en arme de guerre particulièrement efficace.
Un petit mois après l'annonce de sa candidature, il se montrera pour la toute première fois avec une casquette MAGA (blanche) pour visiter la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Un voyage et une visière abondamment médiatisés. Dans l'histoire de la politique américaine, jamais un détail vestimentaire n'avait permis de fédérer aussi rapidement des supporters autour d'un seul candidat. Une stratégie qui fera du même coup de Donald Trump une icône pop d’un genre très particulier,
En 2024, l'accessoire phare de Donald Trump ne montre aucun signe de faiblesse. Il fait même des petits, puisque la casquette MAGA s'est depuis déclinée en plusieurs versions: rose, noir, dorée ou orange de type prisonnier, il y en a désormais pour tous les goûts, jusqu'à la variante militaire. En campagne électorale depuis presque dix ans, le milliardaire a donc un poil plus d'expérience (et de choix) que son adversaire démocrate Kamala Harris, en termes de merchandising.
Ce qui n'a pas empêché la vice-présidente d'appuyer sur le champignon, afin d'offrir depuis de quoi satisfaire les envies shopping de ses récents partisans. Et la plus grande provocation viendra de son colistier, Tim Walz, pas peu fier d'avoir pu imposer sa propre casquette de camouflage.
Oui, comme celle de Donald Trump.
Ou presque. Car si le républicain y voit un moyen de mener le pays avec la poigne d'un général des armées, le ticket démocrate pense aux paysans du Midwest qui vont chasser le dimanche, à l'instar du sympathique «coach de l’Amérique» qui pourrait devenir Premier homme des Etats-Unis.
Détail qui a son importance, la version républicaine est taillée dans une coupe dite «patriot», alors que la version démocrate est une simple «base-ball hat». Enfin, sachez que l'usine qui les fabrique est la même: Unionwear, dans le New Jersey.
Un coup de maître? Bof. S'agissant du buzz éphémère, la casquette de chasse du ticket Harris-Walz a largement accompli sa mission, avec une rupture de stock la première semaine et une presse de gauche dithyrambique. Mais il suffit de lire certains titres d'articles pour se rendre compte qu'il y a un premier souci: Donald Trump hante la réussite des démocrates.
Autre souci majeur: cette casquette a littéralement disparu des rassemblements de Kamala Harris, une fois passées la convention démocrate et l'intronisation de Tim Walz. Hop, on passe à autre chose. Bien sûr, un million de casquettes à 40 dollars c’est beaucoup d’argent et les démocrates n'ont jamais été les plus démonstratifs.
Mais la volonté de battre Donald Trump sur son terrain viril se solde par un échec qui n'a rien de très surprenant.
Non seulement Harris, contrairement à Trump, n'a jamais porté cette casquette militaire en public, mais sa base électorale est beaucoup moins homogène que celle de son adversaire. Un rapide coup d’œil au merchandising démocrate permet de comprendre que l'atout (et le désavantage) de Kamala est beaucoup plus nuancé qu'un bête treillis.
Et le temps presse. A moins de 30 jours de l'élection présidentielle, la campagne démocrate adresse désormais en moyenne une demi-douzaine d'emails à sa base, pour l'inciter à acheter un énième t-shirt. Si Kamala Harris dépasse désormais Donald Trump de 150 millions de dollars en termes de dons, chaque piécette compte.
La boutique de Kamala? Pour faire court, disons que la vice-présidente parie sur une garde-robe politique très bobo. Des stylistes en vogue, des designs citadins et des messages qui virent soit à l'extrême gauche, soit restent très impersonnels. A l'instar de ces sweats tout en fleurs, imaginés par les artistes très new-yorkais Jonathan Cohen et Ulla Johnson:
Si ces deux pièces sont parfaites pour aller bruncher à Williamsburg, pas sûr qu'elles satisfont l'ouvrier de Pennsylvanie, un Etat clé. Peut-être plus dommageable, la boutique de Kamala Harris démontre que la campagne démocrate refuse de (ou ne parvient pas à) fédérer autour d'un seul et même slogan.
Alors qu'elle avait réussi son entrée dans l'arène présidentielle en martelant «We Are Not Going Back!», en référence aux années Trump, qu'on aurait très bien imaginées sur un t-shirt et des autocollants, les formules disponibles partent dans tous les sens. De «Control guns, not girls» à «Together we will defeat Trump again», en passant par une formule célèbre, mais hélas empruntée au président Barack Obama, c'est un peu le bordel.
Mais cette garde-robe n'est pas pour autant dénuée d'aspérités. Comme pour la casquette militaire, c'est une fois dans les cordes que ça se défend le mieux. Donald Trump dégaine un t-shirt sarcastique inspiré de l'Eras Tour de sa meilleure ennemie Taylor Swift? Les démocrates répliquent dans la foulée, avec l'une des armes les plus efficaces chez les Swifties: le bracelet de l'amitié.
Plus généralement, les principales différences entre les deux collections se cachent dans les publics cibles et le culte de la personnalité. Chez Trump, c'est simple, on ratisse (très) large au niveau des communautés et son colistier JD Vance est quasi inexistant:
Résultat du match? Difficile à dire, tant ces fringues existent d'abord sur... internet. Pour dire, en traversant le pays de la Floride au Wisconsin ces dernières semaines, Watson n'est jamais tombé une seule fois sur des badauds arborant un t-shirt officiel pour l'un ou l'autre des candidats. Et pas la moindre casquette MAGA sur un trottoir. En dehors des meetings, les marques de soutien sont plus discrètes ou traditionnelles, de l'autocollant sur le pare-brise à un panneau planté dans le jardin de la maison.
Attention, ça ne veut pas dire que les électeurs n'en achètent pas, bien au contraire. Mais c'est un geste symbolique, une manière de participer financièrement à la campagne et l'outfit parfait pour la soirée du 5 novembre, avant de finir au fond de l'armoire. Enfin, sauf quand on s'appelle Hailey Bieber et qu'on a un message politique à faire passer, en pleine grossesse.
Il est peut-être là le point fort de la campagne Harris-Walz: avoir réussi à imaginer des produits qui donnent (enfin?) envie d'afficher sa couleur avec swag et dynamisme. Parfait pour les people. Le problème, c'est que cette couleur abrite tellement de teintes que l'on ne saura jamais à quoi ressemble véritablement un électeur démocrate.
Depuis que Trump a catapulté le marketing à un point de non-retour, en lançant des produits exclusifs chaque mois (baskets dorées, «Trump-Watch» fabriquée en Suisse) il parait difficile de revenir à de simples idées politiques.
Sans oublier que le parti a une histoire compliquée avec le merchandising et que ses erreurs de parcours expliquent à elles seules la puissance visuelle de Donald Trump. Cette casquette bleue, datant de 2016 et que tout le monde a oublié, peut hélas en témoigner.