C'est une journée ensoleillée à Genève. Le rendez-vous est prévu à 10h30, devant la Migros à la gare de Genève Cornavin. A l'heure convenue, je fais la connaissance de Klodya, une femme de 52 ans, arborant un large sourire.
Après avoir traversé l'épreuve du cancer du sein, elle a décidé de transformer les cicatrices laissées par la maladie en œuvre d'art. Pour renouer avec sa féminité, elle s'est tournée vers le tatouage. En chemin, elle me confie avec émotion:
Pour vous, quels ont été les premiers signes d'alerte?
C'était en 2018, j'étais en Guyane et j'ai remarqué que mon sein avait gonflé. Cela m'a immédiatement interpellé, alors j'ai pris contact avec mon médecin à Genève pour fixer un rendez-vous à mon retour.
Comment s'est passée cette consultation?
A ce moment-là, mon médecin m'a indiqué que j'avais trois tumeurs dans le sein droit, dont deux étaient bénignes et une maligne. Il a immédiatement programmé d'autres rendez-vous médicaux. Cependant, à ce stade, le terme «cancer du sein» n'avait pas été mentionné.
Alors, quand vous a-t-on parlé de cancer du sein? Je me souviens très bien de ce moment: j'étais seule chez moi, à Genève, lorsque mon téléphone a sonné. En décrochant, une femme me dit:
Cette même personne a immédiatement enchaîné en me planifiant des rendez-vous médicaux, m'a souhaité « bon courage» et a raccroché.
Comment avez-vous réagi à cette annonce? Pour être tout à fait honnête avec vous, je suis allée chercher une bière dans mon frigo et je me suis assise sur mon canapé. J'étais dans le déni.
Et vos proches? En particulier votre mère, avec qui vous êtes très proche? Les premières personnes que j'ai informée étaient mes tantes, les sœurs de ma mère. Elles m'ont tout de suite soutenue. Pour l'annonce à ma maman, je l'ai mise au courant seulement au moment de mon opération.
Quels traitements avez-vous reçus? J'ai suivi un traitement journalier d'hormonothérapie, pendant cinq ans, avec une dernière prise le 30 avril 2024. J'ai également subi une mastectomie.
Ces traitements ont-ils affecté votre corps? Bien sûr, ce n'était plus le même corps. Mes vêtements ne m'allaient plus et j'ai rencontré des effets secondaires, comme des sauts d'humeur et une peau très sèche. Par exemple, aujourd'hui, je suis obligée d'acheter mes savons et mes crèmes, en pharmacie plutôt qu'en grande surface.
Votre confiance en vous a-t-elle pris un coup? Oui! En me regardant dans le miroir, je ne me reconnaissais pas. Alors, pour me sentir mieux, je me teintais les cheveux: bleu, blond, violet et rouge. Ces couleurs me redonnaient confiance. C'était un statement, une façon pour moi de dire:
A la suite de ces changements physiques, la prothèse mammaire était-elle une évidence? Pas du tout, je ne voulais pas de prothèse, car je trouvais ça superflu. Je voulais que ça reste naturel. Toutefois, l'équipe médicale a recouru à une forme de psychologie inversée, qui m'a amenée à changer d'avis. Ils m'ont fait remarquer que j'étais jeune et que cela pouvait contribuer au processus de reconstruction de soi.
Vous avez également opté pour un tatouage de reconstruction mammaire. Comment cela s'est-il passé? C'est grâce à la communauté Seinplement Romandes, qui regroupe des personnes touchées par le cancer du sein. Elle offrait l'opportunité de partager son témoignage sur la maladie en échange d'un tatouage offert par les HUG.
Qu'est-ce qui vous a poussé à passer le cap? J'avais cette grande cicatrice-là qui n'était pas très jolie. Je me suis dit que je n'avais rien à perdre, alors j'ai décidé de me lancer.
Et, qu'en a pensé votre médecin ? Il m'a dit que j'avais fait «le bon choix» et que c'était une option «magique». En effet, si j'avais souhaité une reconstruction du téton après ma maladie, cela aurait nécessité une intervention chirurgicale utilisant d'autres parties de mon corps, et je ne voulais pas repasser au bloc opératoire.
Comment se sont déroulés les rendez-vous au salon de tatouage? Etant donné qu'il s'agit d'un tatouage de reconstruction mammaire, il était important qu'il soit similaire à l'autre sein. Pour cela, Rachel (la tatoueuse) a pris des mesures et des photos afin de se rapprocher au maximum de l'apparence de mon sein intact. Il fallait faire preuve de beaucoup de douceur pour éviter toute gêne. C'était un travail en binôme, et lui faire confiance a été une expérience magique.
Que représente ce tatouage pour vous? Contrairement à d'autres, pour moi, ce tatouage ne marque pas la fin du cancer, car le risque de récidive est toujours là. En revanche, il me permet de me démarquer des autres et ajoute une dimension héroïque. C'est aussi un symbole de sororité, puisque c'est une femme qui a réalisé ce tatouage.
Le tatouage vous a-t-il aidé à symboliser une nouvelle étape dans votre parcours de guérison? Absolument, sans lui, ça aurait été très complexe. Comme je le dis souvent:
Aujourd'hui, cela vous fait sourire, n'est-ce pas? Oui, j'en rigole même. Par exemple, quand je suis allongée sur le dos, je plaisante en disant que j'ai toujours un sein qui me regarde, en l'occurrence celui qui a la prothèse. Et j'aime bien lui dire: «Toi, tu ne me fais pas d'autres problèmes».
Partagez-vous votre expérience avec d'autres personnes touchées par la maladie? Oui, je réalise des publications pour les réseaux sociaux de Seinplement Romandes. J'ai partagé une photo après mon opération et la prochaine sera celle de mon tatouage. Je veux me battre chaque mois d'octobre pour les soutenir: «c'est une beauté de bataille».
Encourageriez-vous les femmes qui hésitent à franchir le pas du tatouage? Foncez! Je serais prête à rencontrer ces femmes et à leur expliquer à quel point cela peut être bénéfique pour elles. D'un côté, le tatouage allège le traumatisme, et de l'autre, il rend la situation un petit peu plus acceptable.
Quel message aimeriez-vous que nos lecteurs retiennent? Je pense qu'il est essentiel de prendre soin de son corps et de lui faire confiance. De plus, les femmes ont beaucoup plus de force qu'elles ne le pensent.