La science ne cesse d'évoluer. Mais avec ses découvertes arrivent toujours des dangers. Et celui qui nous concerne aujourd'hui n'est pas des moindres, puisqu'il pourrait... «éliminer la vie sur Terre», comme l'explique David Relman, professeur d’immunologie à l’université Stanford à nos confrères du Monde.
Il fait partie d'un groupe de chercheurs qui, en décembre, a publié une étude sur le site Science. Dans cette tribune scientifique, près de 38 spécialistes alertent contre le risque de la «vie miroir» et plus particulièrement: des «bactéries miroir».
Biochimistes, zoologues et autres botanistes rassemblés autour d'un chercheur du MIT tirent la sonnette d'alarme autour d'une technologie qui pourrait pourtant aider à se débarrasser du Sida. Que se passe-t-il? Suivez le guide.
Pour comprendre le principe de «bactérie miroir», il faut commencer par ici: les molécules chimiques sont souvent asymétriques de par leur formation atomique et ont un «sens». Pas philosophique, non, mais bel et bien physique. Ce caractère, ça s'appelle la «chiralité».
Par exemple, les acides aminés «tournent» du côté gauche et les protéines du côté droit. Il y a aussi les «racémiques», qui ont une version gauche et une version droite, ainsi que les molécules «achirales», qui ne sont pas concernées, car leur structure moléculaire est symétrique. C'est le cas notamment de la glycine et du méthanol.
Pourquoi certaines molécules tournent dans un sens ou dans l'autre, les deux ou sont neutres? C'est arbitraire. Il s'agit d'une énigme scientifique en soi. Les chercheurs se demandent notamment si les molécules ont commencé à se profiler de manière «chirale» avant ou après l'apparition de la vie.
Et comme dans un jeu de Tetris, on n'emboîte pas les molécules n'importe comment. Les molécules chirales pivotent autour d'un point, comme on fait pivoter une table ou un livre. La chiralité définit bon nombre de dynamiques chimiques, biologiques et donc médicales.
Et comme les scientifiques aiment aller au bout des choses, certains se sont mis en tête de développer des molécules «miroir». Si elles devaient être libérées, elles changeraient la dynamique des échanges avec les autres molécules. La médecine pourrait fortement profiter de ces recherches. L'efficacité des médicaments pourrait en être fortement améliorée. Un autre des objectifs déclarés serait de créer de nouveaux remèdes, par exemple contre le Sida. Rien que ça.
Mais un danger plane sur de potentiels développements futurs de cette technologie: les bactéries miroir. Pour les scientifiques auteurs du rapport, c'est bien simple: elles ne doivent pas exister. Leur existence théorique doit faire usage d'avertissement, et c'est tout.
Si elles venaient à se reproduire dans la nature, elles deviendraient inarrêtables. Car la plupart des antibiotiques classiques, qui reposent sur la chiralité, ne pourraient rien contre ces nouvelles bactéries. Et même si ces classes d'antibiotiques non-chiraux fonctionnaient, le vrai défi vient du corps humain: le système immunitaire.
Car les antibiotiques, aussi efficaces soient-ils, réduisent le nombre de bactéries, mais ne les suppriment jamais à 100%. Et une bactérie miroir aura la capacité, selon toute vraisemblance, de passer pleinement outre les défenses immunitaires, profitant de failles intrinsèques comme un avion furtif passe sous un radar. Une fois infectés, nos corps nous lâcheraient rapidement, soumis à une infection bactérienne massive.
Si ces bactéries miroir devaient s'échapper du laboratoire où elles ont été créées — toute similitude avec des théories sur des évènements récents ne serait que pure coïncidence — elles deviendraient très rapidement des «menaces globales» absolument hors de contrôle. Le scénario qui suit est apocalyptique. Et on pèse nos mots.
Les bactéries se propageant de manière exponentielle, c'est l'entièreté de l'écosystème présent sur terre qui deviendrait leur proie. Les humains ne seraient pas les seuls à être touchés. Les animaux seraient décimés, y compris les insectes, qui participeraient à la propagation bactérienne. Les plantes et les fleurs, éradiquées. Les autres formes de vie n'auraient aucune chance non plus: les bactéries «normales», les virus et autres champignons seraient aussi victimes des bactéries miroir.
Ce nouvel «intrus» ne s'arrêterait qu'après avoir exterminé le monde tel que nous le connaissons, annihilant toute forme de vie. La terre ne serait alors à nouveau plus qu'un caillou de mer et de roches.
On comprend que les scientifiques craignent l'émergence de cette boîte de pandore totale. Mais le danger est-il réel? Le biologiste canadien David Perrin se dit «pas convaincu par ces arguments» et estime que «le risque est surestimé». D'autres reconnaissent le danger, mais se disent heureux de l'avoir détecté à temps pour mieux l'éviter.
Car si créer une molécule miroir est déjà possible, créer une bactérie entière, c'est une autre paire de manches. Un exploit titanesque même, qui n'a encore jamais été réalisé. A titre de comparaison, un ribosome, un des «organes» de la cellule — on vous renvoie à vos cours de biologie — serait entre dix et cent fois plus grand que les travaux pratiques actuels les plus pointus, réalisés par le Chinois Ting Zhu.
D'autres, comme Andrew Ellington, de l'Université du Texas, estiment que ce genre de position mène à un «arrêt de la science» qui serait utile dans «une variété de domaines», agitant un danger «qui n'est pas du tout plausible pour le moment». Le genre de scientifique à vouloir justement produire des bactéries miroir?
Le truc que préconisent certains scientifiques? «Produire» tout de même des bactéries miroir, mais sans l'entièreté de leur code génétique, les empêchant ainsi de se multiplier. Mh, j'ai déjà vu ça quelque part, pas vous?