En juin 2024, Virginie Viard quittait la direction artistique de Chanel, après avoir repris les rênes de la maison de couture suite au décès de Karl Lagerfeld, en 2019. Un départ qui sera suivi par d'autres:
Une situation qui interroge: que se passe-t-il au sein de ces grandes marques de mode? Elizabeth Fischer, professeure à la Haute école d'art et de design de Genève (Head) et spécialisée en histoire culturelle de l’apparence, livre son analyse.
Comment expliquer les départs de plusieurs directeurs artistiques à quelques mois d'intervalle?
Elizabeth Fischer: Par plusieurs facteurs. Rappelons que ces maisons n'ont pas toutes les mêmes configurations. Chanel, par exemple, est indépendante. Virginie Viard était le bras droit de Karl Lagerfeld. Elle a repris le poste au pied levé car il est décédé, non pas parce qu'il a démissionné. C'est difficile de venir après quelqu'un comme lui. Sabato De Sarno, chez Gucci, a dû convaincre en trois saisons. La personne qui débarque a très peu de temps et doit revisiter l'ADN de la maison.
Aujourd'hui, ces grandes marques sont des entreprises comme les autres. Tout va très vite, notamment avec l'avènement des réseaux sociaux. Le rythme du nombre de collections à sortir, hors saisons notamment – collections croisière, métiers d'arts, les lignes d'accessoires –, est impossible à suivre.
Les directeurs artistiques de ces grandes marques n'ont plus le droit à l'erreur?
Non. Et ils n'ont plus le temps de s'installer.
Un jeu de chaises musicales: est-ce que cette stratégie fonctionne?
D'un point de vue managérial, nous pourrions dire que nous sommes face à un problème systémique. Cette branche du luxe – les grandes marques de mode – doit se repositionner. Tellement de choses ont été copiées et sont désormais accessibles. Lorsqu'on apprend dans quelles conditions certains vêtements sont produits, certains clients n'ont plus envie de consommer. La stratégie doit changer. Les employés sont en burn-out, il y a trop de collections. Il est très difficile de tenir la cadence.
Les départs observés ces derniers mois sont donc inédits?
Je n'ai pas le souvenir qu'il y en ait déjà eu autant.
Maintenant, on admire des maisons comme Loewe ou Prada qui imaginent de super campagnes publicitaires, drôles et décalées, qui sont ensuite instantanément partagées. Lorsqu'on est directeur artistique, il faut suivre cette cadence et composer avec ces différents aspects.
Dans la réalité, les grandes marques peuvent-elles réellement réduire la cadence?
Il faudrait réfléchir à un modèle économique et systémique différent. Actuellement, plusieurs paramètres empêchent cela. Par exemple, tant que le cycle infernal de la fast fashion continue ou que les maisons sont en décalage avec la réalité en ne proposant pas de grandes tailles, les choses ne changeront pas.
Est-ce une aubaine ou un frein pour une maison de perdre son directeur artistique?
Cela dépend de comment se passe le départ. Après seulement trois saisons, ça ne donne pas une bonne impression, contrairement à un fondateur qui s'en va à la retraite. La marque se ridiculise et renvoie un manque de vision. Comme dans d'autres entreprises, un turnover n'est pas positif.
La situation va-t-elle aller en s'améliorant?
Je prends par exemple l'un des récents défilés croisière où les invités ont été amenés au Maroc. Je me demande comment les jeunes générations arrivent à sortir la tête de l'eau. Je reste toutefois convaincue que les grandes maisons resteront en place. Il y a trop d'enjeux. Et puis, les gens continueront à aimer s'habiller. Nous aurons donc toujours besoin de personnes qui produisent de beaux vêtements dans lesquels on se sent bien.