Au son de la cornemuse, les mannequins entrent en scène sur les hauteurs des jardins du château de Drummond, près d'Édimbourg, en Ecosse. Cet écrin féerique a été choisi par Dior pour présenter, lundi 3 juin, sa collection croisière 2025.
Avant Dior cette année, entre mai et juin pour être précis, d'autres maisons de prestige ont dévoilé leurs célèbres cruise collections: Chanel au MAMO, le Centre d'art de la Cité radieuse de Marseille, Gucci au Tate Modern à Londres, Louis Vuitton au Parc Güell à Barcelone et Max Mara au Palazzo Ducale à Venise, ce mardi 11 juin.
La particularité de ces défilés? Ils sont absolument spectaculaires, prennent place dans des lieux hors du commun et sont organisés hors du calendrier des Fashion Weeks – qui ont lieu de janvier à mars et de septembre à octobre pour le prêt-à-porter.
Mais alors, à quoi sert donc tout ce faste? On vous raconte le pourquoi du comment.
Remontons un peu l'Histoire, voulez-vous? Nous sommes au début des années 1920, à une période où «les riches Américaines partant l'hiver en croisière vers des pays chauds réclamaient à leurs couturiers des vestiaires adaptés», retrace Le Monde. Plus de cent ans sont passés, mais le nom «croisière» est resté.
Gabrielle Chanel a d'ailleurs joué un rôle majeur dans la création de ces collections spéciales. Si Bilan écrit qu'elle en fût l'une des pionnières, les journalistes Natacha Morice et Loïc Prigent, en revanche, déclarent qu'elle en est l'inventrice. En vidéo, Natacha Morice explique qu'en 1919, la couturière présente une collection de demi-saison qui alterne entre pyjamas de plage et robes du soir légères, «destinée aux femmes aisées qui partent à Biarritz au début des beaux jours».
En 1983, Karl Lagerfeld reprendra l'idée de Coco Chanel et imaginera à son tour des vêtements «pour les femmes qui partent en croisière dans les mers du sud», poursuit Natacha Morice. Car selon le célèbre couturier:
Faisons à présent un bond dans le temps, au début des années 2000, soit la période où les collections croisière ont réellement décollé.
Natacha Morice cite deux exemples: le défilé Chanel, en 2004. La collection est présentée sur «Le Paquebot», un «beau navire art déco qui vogua au fil de la Seine deux heures durant», écrivait Le Temps, à l'époque. L'année suivante, Karl Lagerfeld investit cette fois-ci d'anciens bus de la RATP qui traversent Paris pour terminer au café de Flore, dévoilant à une presse conquise les tenues du soir.
Ni une ni deux, les autres marques – Max Mara, Fendi, Hermes – finiront par suivre le mouvement. Dior, par exemple: «Nous avons commencé à nous interroger sur cette collection que les Américains appellent croisière il y a une dizaine d'années», racontait Sidney Toledano, ex-PDG de Christian Dior Couture, en 2014 au Monde. En 2005 en effet, la maison de couture organisait un défilé croisière au 24e étage de son siège new-yorkais, devant 250 personnes dont la presse et les clients.
En 2007, c'est Fendi qui en met plein la vue au monde entier en présentant sa collection croisière sur la Grande Muraille de Chine. Un show spectaculaire qui aurait, dit-on, été visible depuis l'espace. Le ton est donné. Et quelques années plus tard:
Si autant de moyens sont mis en œuvre et que le budget alloué à ces défilés semble aujourd'hui illimité, c'est parce que les maisons de couture qui peuvent se permettre de telles dépenses tirent un énorme avantage financier de leurs collections croisière.
Présentés aux clients et au public au printemps, les vêtements sont disponibles en magasin de novembre à juillet. Il s'agit donc des collections de prêt-à-porter qui restent le plus longtemps en boutique. En comparaison, d'autres ne sont disponibles que quelques semaines.
Si les marques refusent de chiffrer, elles soulignent bel et bien le caractère stratégique de ces collections, précise Bilan. De plus, les images de l'événement postées, entre autres, par des invités de prestige triés sur le volet, inondent instantanément nos réseaux sociaux. Pour les marques, la visibilité est donc absolument gigantesque.
Des critiques persistent toutefois, notamment autour de la production effrénée. Comme rappelle Konbini, les défilés viennent «s’immiscer dans un calendrier [mode] en constante mutation, qui ne cesse de se surcharger et de s’accélérer».
De son côté, Dior a fait l'objet de reproches d'appropriation culturelle en 2023, au Mexique. En réponse, la marque assure:
Pour son défilé de juin 2024, Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de Dior, confie à Vogue avoir fait appel à plusieurs entreprises locales spécialisées dans les couvertures, les tissus ou les tricots. «Nous avons créé une véritable carte pour identifier les spécialisations liées au territoire», ajoute-t-elle. L'Ecosse, un lieu symbolique pour la marque: en 1955, Christian Dior présentait sa collection printemps-été à l'hôtel Gleneagles, à quelques kilomètres seulement du château de Drummond.
Autre exemple qui fait référence au passé: le défilé croisière de Chanel à Los Angeles, en 2023. «Une façon de rappeler que Gabrielle Chanel a dessiné des costumes pour le cinéma à Hollywood dans les années 30», rappelle Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode, à l'AFP.
Des clins d'œil à l'histoire et la mise en avant d'un savoir-faire artisanal qui ravissent les férus de mode année après année. Avec, comme certitude, de s'en prendre toujours plein la vue.