21h27. Les spots s'assombrissent, se violacent. Les extraits néo-funk qui flottaient discrètement dans l'air du Nouveau monde – éminent espace culturel fribourgeois – laissent désormais place à des détonations plus exaltantes: celles de la trap. Prêt à dégainer ses meilleurs hurlements, le public bouillonne. C'est alors qu'une voix aussi grave que suave se distingue de la mêlée: «Yeah! Yeah! Yeah!», s'exclame cette dernière. C'est VVS Panther.
Depuis les backstages, la rappeuse fait monter la pression, avant d'investir la scène en trombe. Durant l'heure qui suit, elle rappe, elle bondit, vogue entre l'estrade et le bar du local, jusqu'à partager un colossal pogo avec les 250 rapophiles qui forment la foule. L'énergie de la jeune artiste est l'une des plus communicatives que l'on a vues dans le rap suisse en 2023. C'est à croire qu'elle évolue dans le milieu depuis des décennies.
Constat analogue devant la performance, certes plus calme, mais non moins maîtrisée de Jeune Hustler. Le rappeur valaisan s'est vu doter de la lourde tâche de chauffer le public, une heure avant sa compère de Lausanne. Il s'en est sorti comme un chef. Et pourtant. VVS Panther et Jeune Hustler ne sont que «des artistes émergents». Cette mise en lumière, ils la doivent à riser.
Du rap alternatif à la pop rock jusqu’au punk, le nouveau projet culturel helvétique vise à soutenir de manière conséquente les propositions musicales les plus prometteuses de Suisse.
riser doit notamment sa naissance à Pascal Vonlanthen. Le Fribourgeois, plus connu sous le pseudo de «Gustav», a rythmé les grandes scènes germanophones pendant plus de deux décennies. Il y a cinq ans, ce musicien de 48 ans décide de lancer un projet éponyme, «La Gustav». L'idée: prendre sous son aile de jeunes artistes suisses pour les aider dans leur art. Or, si la promesse est grande, la désillusion l'est tout autant: il s'aperçoit à quel point «même les plus talentueux ne parviennent pas toujours à se faire un nom»:
Pascal Vonlanthen veut alors faire plus: donner davantage de lumière à ceux qui, malgré leurs efforts, ne percent pas autant que mérité: «Nous sélectionnons tous les artistes qui, bien qu’émergents, bénéficient déjà d'une certaine notoriété locale.» Dès 2023, ceux-ci peuvent alors s'inscrire gratuitement depuis le site internet de riser ou se voir repérés puis accompagnés sur scène par des artistes confirmés en partenariat avec ce nouveau projet. C'est le cas de KT Gorique qui aura fait appel à VVS Panther et Jeune Hustler.
On comprend donc mieux le professionnalisme de ces deux trublions du verbe romand, ce jeudi 15 juin, au Nouveau monde. A 23 ans, la Lausannoise s'est déjà produite dans une cinquantaine de concerts. De son côté, «le Jeune H», 27 ans, est d'autant plus connu dans sa ville d'origine Sion qu'il a déjà collaboré avec des rappeurs reconnus en France: La Fève, Infinit', M Le Maudit, liste-t-il auprès de watson. Or, même avec ces palmarès, les deux artistes le reconnaissent avec amertume: après quatre ans de carrière pour VVS et huit ans pour Jeune Hustler:
C'est l'une des raisons pour lesquelles ils déclarent tous deux avoir accepté de participer au projet riser. Hormis les retombées médiatiques induites par les concerts, l'association suisse fait en sorte que les artistes émergents reçoivent un cachet après chaque représentation qu'elle organise. Mais son but n'est pas que financier. Il est aussi culturel. riser déclare contribuer à ce que l'ensemble de ces talents se fassent connaître «dans toute la Suisse». Pourtant, la programmation des concerts de l'association suisse montre un autre son de cloche.
«Supprimer le Röstigraben», ce clivage culturel et identitaire qui, en tout temps et domaine, a opposé la partie francophone et germanophone de la Suisse. Telle se dessine l'ambition de riser. Mais une ombre au tableau en ressort: sur les 18 concerts annoncés, un seul a lieu dans un canton romand. Il s'agit de celui au cours duquel le public a pu (re)découvrir VVS Panther et Jeune Hustler. De fait, un rappeur francophone peut-il réellement «percer dans tout le pays» lorsque le public romand n'est que partiellement invité à la fête ou quand ses artistes se produisent dans une région qui ne parle pas leur langue? «Ca peut marcher, comme ça peut être éclaté», s'accordent VVS et Jeune Hustler qui estiment néanmoins, à leur échelle, ne pouvoir «accepter que ce qu'on nous donne».
De son côté, Pascal Vonlanthen impute à ce déséquilibre un simple problème d'anticipation. D'après lui, riser s'est manifesté «trop tardivement auprès des cantons romands». Le co-initiateur de l'association suisse assure que pour 2024, un tiers des prochains concerts devraient être prévus sur le sol romand. Il rappelle dans le même temps avoir fait en sorte de mettre en avant la Romandie, pour la première édition de son projet, en soutenant d'autres artistes émergents ou confirmés francophones, à savoir Kadebostany, Crème Solaire, Mamba Bites ou encore Fluffy Machine.
Reste que dans les faits, la place minime de la Romandie accordée par riser dans sa programmation actuelle s'avère révélatrice de la situation vécue par les artistes de la région dans le paysage culturel helvétique. Du point de vue de Jeune Hustler, il serait «plus facile de percer en Suisse alémanique qu'en Suisse romande» – de par son nombre d'auditeurs dans le pays et les grandes infrastructures musicales qui y élisent en majorité domicile.
Mais pour les deux jeunes artistes, ce problème n'en est finalement pas tant un que cela. Il serait même source de dépassement de soi:
Ce manque de visibilité pousserait donc les artistes romands à ne pas seulement faire mieux que leurs voisins suisses allemands. Il les galvaniserait même assez pour concurrencer ceux de l'Hexagone. C'est du moins ce que défend VVS Panther: «Je pense que l’identité du rap romand devient de plus en plus originale. Elle se démarque de ce qu’il se fait en France, notamment par son esthétique plus ouverte.»
VVS Panther et Jeune Hustler l'ont prouvé sur la scène du Nouveau monde: ils ont faim de réussite. Percer en Suisse comme à l'international, tel que le promet riser à ses artistes émergents, c'est bien le but de VVS Panther. Laquelle reste cependant lucide: elle voit le projet culturel comme un tremplin, non comme une fin en soi. Une nuance que confirme également Jeune Hustler le concernant.
Comme de nombreux autres talents, VVS Panther et Jeune Hustler peuvent compter sur riser pendant encore quelques mois. L'association leur a prévu d'autres concerts en Suisse alémanique d'ici fin 2023. A l'issue de ces représentations, la collaboration cessera. «Mais l'équipe de riser reste en contact avec l'ensemble de ses artistes pour répondre à leurs questions en cas de doutes ou d'obstacles rencontrés durant leur carrière, assure Pascal Vonlanthen. Le projet est très jeune et j’espère qu’il continuera de se développer dans les années à venir.»