L'événement culturel du moment est assurément Adolescence, la série britannique est actuellement en tête des visionnages dans plusieurs pays. Elle s'inspire d'une vague de meurtre au couteau qui a frappé l'Angleterre ces dernières années et dont les principaux auteurs sont des adolescents.
Quatre épisodes d’une heure, dont le tour de force technique réside dans le fait d’être intégralement tournés en plan-séquence, sans aucune coupe, suivant une famille ordinaire d’Angleterre mêlée à l’affaire du meurtre d’une lycéenne. Le crime, capté par une caméra de surveillance, accable Jamy, 13 ans, désigné comme l’auteur de ce féminicide. Un adolescent à l’apparence irréprochable, à qui l’on donnerait le Bon Dieu sans confession.
La motivation de l’attaque est initialement obscure, mais l’enquête se concentre rapidement sur l’implication de Jamie dans une sous-culture masculiniste en ligne, connue sous le nom de «manosphère» et du mouvement «incels», contraction anglophone de «involuntary celibate», ou «célibataire involontaire».
Cette idéologie, née sous la forme d'un rejet violent du féminisme et des changements sociaux contemporains, s'exprime surtout par une profonde rancœur à l'égard des femmes, accusées d’être responsables de leur solitude affective.
Une haine exacerbée qui a poussé certains à passer à l’acte, en commettant des crimes de haine:
En 2014, Elliot Rodger, considéré comme une figure emblématique du mouvement, a tué six personnes en Californie, avant de se suicider.
En 2018, Alek Minassian a perpétré un attentat à la voiture-bélier à Toronto, faisant dix victimes, principalement des femmes, et revendiquant son acte comme une «rébellion incel».
En 2021, Jake Davidson a assassiné cinq personnes au Royaume-Uni, exprimant son isolement et sa frustration face à son absence de vie amoureuse.
En 2023, Hassan Sentamu, 17 ans, poignardait Elianne Adamme, 15 ans, à la sortie d'un centre commercial. Un meurtre parmi bien d'autres, puisqu'elle était la quinzième victime adolescente cette année-là, à être assassinée dans la capitale britannique.
Plus récemment, en février dernier, un adolescent de 17 ans, armé d’un couteau et connu pour sa proximité avec la mouvance incel, a été arrêté près d’Annecy, en Haute-Savoie, après avoir menacé de s’en prendre à des femmes dans une vidéo TikTok.
L’angoisse principale de tout parent d’adolescent a longtemps été d’imaginer le pire lorsque leurs enfants étaient à l’extérieur, en considérant le foyer comme un lieu sûr et rassurant. Or, aujourd’hui, le rapport a changé.
Les statistiques le prouvent, les jeunes sortent de moins en moins. En 2024, le Haut Conseil de la famille en France a publié un rapport alarmant consacré au phénomène des «enfants d’intérieur». Si de nombreux enfants pratiquent un sport durant leur temps libre, une grande partie de leurs activités se déroule désormais à l’intérieur, souvent dans leur chambre, les yeux rivés sur des écrans — ce qui contribue à un isolement croissant des mineurs.
Le temps autrefois consacré à traîner à jouer dans les parcs ou les clubs est aujourd’hui largement absorbé par les plateformes numériques comme YouTube ou TikTok.
Sur ces plateformes prolifèrent notamment des créateurs de contenu masculinistes qui diffusent une vision exacerbée de la virilité, un conservatisme assumé, ainsi qu’une obsession pour la réussite financière et le culte du corps — tout cela dans l’objectif d’être perçus comme désirables par les femmes et, surtout, de les dominer.
Pour vous pousser à «devenir la meilleure version de vous-même», ces influenceurs proposent des formations coûteuses, promues à grand renfort de vidéos stylisées, au format podcast, prêchant leur vision du monde comme une vérité révélée.
Parmi les figures les plus connues de ce courant, on retrouve sans surprise Andrew Tate, Britannique suivi par plus de 20 millions d’abonnés sur X, récemment accusé d’agressions sexuelles au Royaume-Uni et visé en Roumanie par une procédure pour trafic d’êtres humains et blanchiment d’argent. Il est aujourd'hui réfugié à Miami, où il compte bien reprendre son business, aidé par la politique conservatrice du président Donald Trump.
Dans la sphère francophone, on trouve également une multitude de gourous masculinistes: des coachs en séduction prétendant apprendre à «dresser» les femmes, des identitaires vomissant le wokisme et les mouvements féministes, des spécialistes autoproclamés de la nutrition et du sport, prônant un régime à base de viande et un entraînement quasi militaire, ou encore des «crypto-bros» vendant une vie de millionnaire comme modèle de réussite, grâce aux cryptomonnaies.
En Suisse, on peut notamment citer l’influenceur Jean-Pierre Fanguin, devenu célèbre pour sa réplique devenue virale: «La question est vite répondue». Aujourd’hui installé à Dubaï, il explique à ses abonnés à quel point ils sont médiocres — pour mieux leur vendre ses précieux conseils.
Si ces influenceurs sèment des graines, les racines du mal se trouvent avant tout sur des plateformes d'échanges comme 4chan, 8chan ou Discord. Sur ces forums de discussion, des anonymes nourrissent un discours haineux contre les femmes, allant parfois jusqu’à justifier ou encourager la violence, y compris le viol et les attaques meurtrières.
Les incels, souvent isolés socialement et consommateurs de pornographie violente, développent une frustration exacerbée face aux femmes qu’ils jugent inaccessibles. Ils estiment être victimes d’une société truquée, en faveur des femmes et des hommes séduisants, ce qui alimente un ressentiment profond. Il existerait même une règle selon laquelle 80% des femmes ne seraient attirées que par 20% d’hommes. A l'image des sphères complotistes, ces mâles vivent dans une paranoïa et utilisent des messages codés.
La série Adolescence l’illustre parfaitement. Les parents du jeune Jamy sont aimants — pas parfaits, bien sûr — mais ordinaires, à l’image de millions de familles. Leur fils n’aimait pas particulièrement le sport, mais il adorait dessiner. «Il voulait un ordinateur, on lui a installé un bureau», «il ne sortait plus de sa chambre, il était dans son monde», confient ses parents dans un dernier épisode bouleversant. Jamy était un enfant ordinaire, qui s’est radicalisé sans que personne ne s’en aperçoive.
Le cocréateur de la série, Stephen Graham — qui incarne également le père de l’enfant — a expliqué à Netflix l’intention derrière cette minisérie:
Le premier ministre britannique, Keir Starmer, a ainsi déclaré avoir regardé la série avec ses deux enfants de 16 et 14 ans, comme le relate BBC News.
L'élu affirme vouloir s’emparer de cette problématique sociale, qu’il juge urgente et en pleine expansion. Pour lui, les actes de violence perpétrés par de jeunes individus sous l’influence de contenus en ligne sont tout simplement odieux. Il insiste sur la nécessité de «prendre à bras-le-corps ce phénomène émergent». Les créateurs de la série ont, de leur côté, demandé qu’elle soit projetée au Parlement et dans les écoles «pour susciter le changement».