On dit parfois que personne ne connait mieux une star que sa groupie. C’est sans doute l’un des fantasmes les plus endurants du fanatisme. A force de tout lire, tout entendre, tout voir, tout gober et tout acheter d’un seul et même artiste, on finit par penser qu’on l’a fabriqué et qu’il nous appartient au moins un petit peu. Là où l’équation est un brin perverse, c’est qu’elle n’est pas tout à fait dénuée de vérité: pas de fan, pas de star.
Sans les «Swifties», ces dizaines de millions de personnes qui ne respirent que pour (et par) Taylor Swift, pas sûr qu’elle soit devenue milliardaire aussi promptement. Les fans de Justin Bieber, eux, sont surnommés les «Beliebers». Mariage très à propos du mot «believer» (croyant) et de son nom. Dédier une bonne partie de son énergie vitale à une personnalité inatteignable est un réflexe que la religion connait d’ailleurs très bien.
Or, depuis plusieurs mois, ce sont précisément ses millions d’apôtres qui tirent la sonnette d’alarme en rythme, «inquiets» d’une seule voix pour la santé mentale, physique, musicale, amoureuse (etc.) de leur gourou préféré.
Ce qui est certain, c’est que ces derniers longs mois, comme ces vingt dernières années, «les fans de Justin Bieber» sont une source intarissable pour les tabloïds du monde entier. Non seulement l’armée de «Beliebers» est encore dense, mais elle dissèque non-stop chacune de ses apparitions, publications et plages de silence.
Des analyses du dimanche, toujours émotionnelles, souvent alarmistes, jamais étayées. Il y a dix jours, dans une vidéo TikTok réalisée au festival Coachella, Justin Bieber semblait «voûté», «erratique», «perdu», «absent», les lèvres suspendues à un joint.
Si les groupies de Justin Bieber sont sincèrement inquiets pour le héros de leur adolescence, la manière de l’exprimer finit par ne ressembler qu’à un gros tas de rumeurs partielles, cousues les unes sur les autres.
L’artiste est-il perturbé par le marathon judiciaire qui attend son ancien mentor, Sean Diddy Combs, et démarre lundi prochain? No doubt. Son nouveau rôle de papa l’a-t-il bouleversé? No shit. Va-t-il craquer, décrocher, partir en vrille, sombrer une nouvelle fois dans la drogue, se lancer dans le reggae, divorcer? Who knows. Est-il épuisé par les innombrables «sources proches de la star», toujours anonymes, qui pullulent dans les médias people à son sujet? Of course.
On dit que le couple Bieber ne se suit plus sur Instagram. On raconte aussi qu’il serait sur le point de «fuir» les Etats-Unis pour atterrir à Nice, histoire d’élever le gamin loin de «la folie». Sans oublier qu’il vient tout juste de perdre son cher et tendre grand-papa. (L’une des seules informations confirmées.)
La carrière précoce de baby-pop tout comme certaines de ses premières fréquentations, lui ont assurément cramé une bonne poignée de plumes. Et ce n’est pas Britney Spears qui dirait le contraire.
Crises d’angoisse, dépression, idées noires, santé fragile, au fond, Justin Bieber n’a jamais été (pu être?) béatement heureux. Justin, ce n’est pas votre Spitz nain au pied du lit, mais un artiste torturé.
Mais alors qu'il tutoie la double décennie de carrière, le voilà quotidiennement coincé à chaque coin de rue de Los Angeles, par des paparazzi conscients de la valeur d’un cliché qui offre de multiples interprétations. Le riche et jeune papa est désormais décrit comme amaigri, renfrogné, paumé, débraillé, ridé. Musicalement, depuis l’album Justice en 2021, plus grand-chose. Il a vendu son catalogue et annulé un bout de sa tournée.
Cette fois, plus de doute: Justin vit une véritable «descent into hell», comme l’affirment les forums et certains médias américains.
Peut-être ont-ils raison.
I don’t like this. #JustinBieber pic.twitter.com/Ruhw2lUWo3
— Lauren Conlin (@conlin_lauren) April 24, 2025
Se faire immortaliser un dimanche matin devant sa salle de sport, au flash et en rafale, ça n’a jamais amélioré l’humeur et le teint d’un être humain. Mais on a aussi tendance à oublier que le Canadien n’a que 31 ans. Un mâle pas vieux, mais qui arbore enfin une tronche d’adulte. La gueule d’un type pour qui tout n’est pas rose et sans doute plus que pour d’autres.
Justin Bieber a pris de l’âge. Il est d’ailleurs trop vieux pour s’épancher devant la caméra de son smartphone pour étaler soigneusement ses états d’âme en direct sur TikTok. Ses errances, il les digère comme les rockers d’antan: en s’oubliant dans des bringues un peu louches et en partageant des poèmes cryptiques. Du coup, ça tire des conclusions.
Ses fans, eux, semblent ne pas vouloir le voir vieillir, changer ou même (mal) gérer sa vie, mais à sa manière. Beaucoup expriment d’ailleurs leur nostalgie du Bieber d’avant. Dans de nombreux commentaires sous les publications de la star, sur Instagram, ça réclame l’ancien Justin à tout va. Mais lequel? De quelle époque? Et en quel honneur? Un Justin moins ceci et plus cela? Comme au comptoir d’un Five Guys?
En oubliant au passage qu’entre deux rumeurs dans TMZ et une série de questionnements sur sa «dégaine étrange», le bonhomme bosse sur sa nouvelle marque de fringues, Skylrk, après avoir pris ses distances avec la griffe streetwear Drew House, qu’il avait cofondées en 2018. Des fringues que sa femme Hailey porte d’ailleurs régulièrement, notamment à Coachella tout récemment.
Quand on a grandi à toute vitesse, abandonné à son sort dans la terrible arène du show-biz, il n’est pas improbable de penser qu’une mue, pour autant qu’elle soit désirée, ne se fait jamais en douceur. Sous les yeux d’une nuée de groupies persuadées qu’elle va se prendre un mur, la petite chenille pop et bien coiffée des années 2000 est peut-être simplement en train d’essayer de devenir un solide papillon qui abandonne sèchement le passé.
En d’autres termes, un adulte. Lui seul nous le dira.