«Je me suis mise à pleurer»: ces vidéos manipulent notre nostalgie
«Les années 1980 t'appellent», lance une adolescente à la coiffure caractéristique de cette période, tandis que résonne un tube du groupe Tears for Fears, dans cette vidéo générée grâce à l'intelligence artificielle (IA) par un créateur né en 1999.
Ce faux montage de la chaîne américaine Maximal Nostalgia, qui a récolté près de 600 000 mentions «j'aime» sur Instagram, illustre le phénomène de la nostalgie IA, des créations virtuelles capitalisant sur l'aura de certaines périodes, les années 1980 en particulier.
Voici la vidéo en question 👇
«Je me suis mise à pleurer» en voyant ce petit film IA, «car ces années me manquent», explique Alicia West Fancher, quadragénaire directrice des ventes pour une marque de cosmétiques aux Etats-Unis. Elle poursuit:
L'arrivée de l'IA générative et de nouveaux logiciels comme Sora d'OpenAI, Veo de Google, Ray de Luma AI ou Gen de Runway AI permettent désormais de créer des vidéos au réalisme saisissant, parfois très difficiles à distinguer de prises de vue réelles.
Parmi les centaines de commentaires enthousiastes postés en réaction à ces madeleines IA sur les réseaux sociaux, beaucoup émanent d'internautes n'ayant pas connu ces années-là.
Tavaius Dawson, jeune entrepreneur américain de 26 ans qui se cache derrière Maximal Nostalgia, explique:
Pour ces chaînes Instagram, TikTok ou YouTube, les jeunes des Etats-Unis des années 1980 façon IA prenaient le temps, passaient leurs journées dehors, avides de contact.
«Les gens ne se parlent plus en face-à-face» en 2025, glisse un ado généré par IA, le sourire aux lèvres. «Dans les années 1980, on était là, dans l'instant, physiquement avec les autres», renchérit une jeune fille.
Le décor, similaire sur d'autres chaînes comme Purest Nostalgia ou utopic.dreamer, est celui de banlieues pavillonnaires américaines paisibles ou les rues calmes d'une grande ville baignées d'une lumière tombante.
L'esthétique emprunte aux codes de cette ère, avec permanentes volumineuses, cheveux longs, vêtements aux couleurs vives, épaulettes, voitures toutes en angles quand les modèles d'aujourd'hui ne sont qu'en arrondis.
Un univers visuel qui gomme les aspérités d'une décennie aussi marquée par les excès, la montée des inégalités, le sida ou le crack.
Anna Behler, professeure de psychologie à l'université North Carolina State, relève:
De son côté, Tavaius Dawson dit faire une distinction entre son contenu «et un livre d'histoire»:
Néanmoins, le réalisme et la qualité graphique des vidéos IA sont désormais tels que «cela pourrait brouiller la frontière» entre le réel et la fiction, souligne Anna Behler, en particulier auprès des jeunes générations. «J'ai des inquiétudes là-dessus», avoue-t-elle.
L'IA, vue comme la technologie du futur, parvient à s'appuyer sur le passé pour stimuler la nostalgie, sensation profondément humaine.
«Nous réintroduisons de l'humanité dans la machine», clame Simon Parmeggiani, auteur de la chaîne Neptunian Glitter Ball, qui capitalise également sur les années 1980 mais en y introduisant du fantastique.
«La nostalgie n'est pas un gadget», martèle l'artiste américain, qui voit un avenir durable pour ce genre marié à l'IA. «C'est de la survie émotionnelle.»
Tavaius Dawson, de la chaîne Maximal Nostalgia, est plus sceptique:
Pour cette raison, il travaille déjà à un autre projet, une plateforme de programmes vidéo sans IA, mais tournés avec un prisme années 1980 ou 1990. Même si la veine du faux vintage estampillé intelligence artificielle s'épuise, «une chose est certaine», affirme-t-il, «la nostalgie restera».
