Vous aussi, jadis, à l'école, vous notiez vos camarades? «Elodie, cheveux 9/10, mais visage, seulement 5/10.»
Aujourd'hui, ce sont les «points d'aura» que se donnent les Gen Z sur TikTok. Une manière de quantifier la «coolitude» des uns et des autres en fonction de leurs actions au quotidien. Une jauge qui peut évidemment aussi descendre.
Les utilisateurs postent des vidéos montrant l'évolution de leurs «points d'aura» au fil de la journée. Porter des nouvelles chaussures à l’école? +2000 points. Oublier de dire bonjour à un pote? -1523 points. Mais aussi des actions jugées embarrassantes, comme trébucher en public, peuvent faire perdre des milliers de points. Idem pour avoir l'outrecuidance de se promener simplement avec son sac ouvert.
A l'inverse, réussir à obtenir le numéro de téléphone d'un crush peut fire grimper le nombre de points. Le concept est devenu viral, les vidéos relatant des actions et les points qu'elles rapportent étant de plus en plus nombreuses sur TikTok.
Bien que cette notation soit le plus souvent perçue comme un petit jeu innocent, on peut tout de même se demander si cette obsession pour l'image de soi sur les réseaux sociaux ne pourrait avoir des effets néfastes. Une pression inutile en particulier pour les jeunes, en renforçant l'idée que chaque interaction doit être jugée et notée.
Difficile de ne pas penser à cet épisode culte de Black Mirror. Ce qui commence comme un jeu se transforme en cauchemar dystopique. La société y fonctionne sur un système de notation où chaque interaction, positive ou négative, est notée par les autres. Une note qui influence directement le statut social de l'individu, ses opportunités professionnelles et même son accès à certains services. Le système pousse les gens à adopter des comportements superficiels, cherchant désespérément à améliorer leur score pour maintenir ou élever leur position sociale.
Finalement, cela conduit à une dégénérescence des relations humaines et une pression sociale immense pour paraître parfait en toutes circonstances.
Bien que la tendance TikTok des «points d'aura» soit plus légère et humoristique, elle s'appuie sur le même concept de juger chaque action selon une échelle arbitraire de «coolitude». Par ailleurs, certaines vidéos n'ont plus rien de drôles et ne sont que des démonstrations de harcèlement gratuit. Voire d'autoflagellation, bien que certains utilisent cette «technique» pour en fait attirer de la sympathie.
Là où Black Mirror nous met en garde, la Chine nous montre que ce cauchemar de fiction peut devenir une réalité; le système de crédit social y existe bel et bien. Les citoyens et les entreprises y sont notés en fonction de leur comportement ou de leur respect des lois.
Une bonne note peut offrir des avantages, tandis qu'une mauvaise peut entraîner des sanctions, allant jusqu'à des restrictions de voyage ou de service. Ce système, contrairement à la tendance TikTok, a des conséquences concrètes et influence directement la vie des citoyens, en fonction de critères définis par le gouvernement.
Ces deux exemples, l'épisode de Black Mirror et le système chinois, montrent à quel point le fait de noter la moindre action et l'obsession de la réputation peuvent devenir envahissants, et accessoirement, dangereux.
La tendance des «points d'aura» sur TikTok, miroir déformant de notre quête constante de validation sociale, reste pour l'instant un simple jeu, mais reflète un phénomène plus large: la technologie et les réseaux peuvent avoir un impact sur l'authenticité de nos interactions sociales. On se note, on s’évalue, on en rigole... du moins pour l’instant.