C'est sous le regard attentif du jury et de son ex-amant qu'elle est entrée dans la salle d'audience. Sculptée dans une robe marron à col roulé qui mettait en valeur son ventre rond de huit mois et demi, l'air concentré et les cheveux noirs et brillants plaqués en arrière. Casandra Ventura. Une témoin clé du procès de P. Diddy, Sean Combs de son vrai nom. Sa compagne par intermittence pendant plus de dix ans. Et la femme à l'origine de cette procédure judiciaire tentaculaire.
Car c'est sa plainte pour viol et violences physiques, déposée fin 2023 et réglée en quelques heures à l'amiable pour un montant non divulgué à 8 chiffres, qui a mené au dépôt de plusieurs dizaines d'autres. Puis à l'inculpation pénale du magnat du hip hop. Et, finalement, à son arrestation en septembre 2024.
C'est peu dire que le témoignage de Cassie était attendu, elle qui se trouvait au cœur des «freak-offs», ces marathons sexuels de plusieurs jours avec des drogues pour seul carburant, organisés pendant plus de dix ans par Diddy.
La voix calme et maîtrisée, Casandra Ventura entame son récit là où tout a commencé. C'est-à-dire à New York, en 2005. A l'époque, elle a 19 ans, c'est une mannequin et aspirante chanteuse. Comme tout le monde, elle connaît Diddy comme «un entrepreneur et musicien hors du commun».
Lorsqu'ils signent un contrat de dix albums avec le label Bad Boy, leur relation est encore platonique. Elle ne le restera pas bien longtemps. Lors d'une fête donnée pour son 21e anniversaire à Las Vegas, Diddy embrasse Cassie dans la salle de bains de la chambre d'hôtel. Une expérience qui laisse la jeune fille, «sexuellement inexpérimentée», naïve et sans trop de connaissances sur cet univers, «perdue» et «confuse».
Quelques mois plus tard, c'est un voyage à Miami qui scelle le début de leur relation. C'est la première fois qu'ils ont un rapport sexuel – mais aussi la première qu'elle consomme de la drogue «intentionnellement». Une pilule d'ecstasy «Blue Dolphin» et une expérience «euphorique», selon ses mots. Les voilà ensemble. «J'en suis tombée amoureuse», décrit-elle à la barre, ajoutant qu'elle suivrait désormais son amoureux comme une «petite ombre».
C'est durant la première année de leur relation que Sean Combs lui «propose une idée». Une rencontre sexuelle «voyeuriste», durant laquelle il pourrait l'observer avoir des rapports sexuels avec un tiers. «Plus précisément, avec un homme.»
Casandra Ventura accepte l'estomac noué, guère emballée par l'idée. «Je ressentais une responsabilité de sa part de partager une telle expérience avec moi. J'étais confuse, nerveuse, mais je l'aimais aussi beaucoup et je voulais le rendre heureux.»
Le premier «freak-off» aura lieu dans une maison louée par Sean Combs à Los Angeles, vers 2008. Une soirée biberonnée à l'alcool et aux drogues. Un escort masculin est de la partie. «J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un danseur», raconte-t-elle. «Il était payé pour divertir, pour danser et pour avoir des relations sexuelles avec moi.»
Jusqu'en 2017 ou 2018, ces évènements deviendront quasi hebdomadaires. Les lieux divergent. Une suite d'hôtel ou une maison de location. New York, Miami, Los Angeles, Atlanta, Las Vegas, Ibiza ou encore les îles Turques-et-Caïques. La durée, aussi. Entre 36 heures et quatre jours, ces ébats peuvent se prolonger encore davantage lorsqu'ils sont entrecoupés de pauses.
Bientôt, c'est à la chanteuse qu'il incombe de recruter les escorts via des petites annonces sur des plateformes comme Craigslist ou Backpage, puis via un service appelé Cowboys 4 Angels. Les escorts sont rétribués en espèces, généralement entre 1500 et 6000 dollars - Cassie a pour ordre de les payer moins s'ils ne respectent pas les normes de «l'organisateur».
Sean Combs, pour sa part, ne se contente pas seulement le rôle de spectateur, mais aussi de vidéaste et de pourvoyeur de substances hallucinogènes - ecstasy, cocaïne, marijuana, kétamine ou encore champignons.
Les «séances» s'achèvent avec du linge de la chambre d'hôtel souillé de résidus d'huile pour bébé et de fluides corporels, notamment de sang et d'urine. Mais surtout, elles laissent Cassie avec le sentiment d'être «dégoûtante» et «humiliée». Il lui faut des jours pour se remettre de la consommation de drogue, de la déshydratation et du manque de sommeil.
Au fur et à mesure, l'organisation des freak-offs devient de plus en plus millimétrée. Sean Combs décide de tout. De la couleur des ongles de Cassie (blancs ou french manucure) à sa coiffure et à sa tenue, en passant par les actes sexuels pratiqués, jusqu'à l'éclairage (bougies ou lumières colorées similaires à celles de clip vidéo). Cassie doit réappliquer de l'huile pour bébé toutes les cinq minutes jusqu'à ce qu'elle soit «brillante».
Elle mentionne un «freak-off» à l'hôtel L'Ermitage de Los Angeles. Une pataugeoire gonflable a été remplie d'huile pour bébé dans laquelle elle doit entrer. «C'était un vrai désastre. Je me suis dit: "Mais qu'est-ce qu'on est en train de faire?"»
Sans se départir de son calme, sans un regard pour son ancien compagnon, Cassie livre des descriptions graphiques et détaillées. Difficile de ne pas visualiser quand elle se décrit allongée sur le sol, «dans une position dont je ne pouvais pas facilement sortir». Lorsqu'un escort boy lui urine dessus sur les instructions de Sean Combs, jusqu'à ce que, suffoquant, elle lève les mains. «Sean a fini par me voir et lui a dit d'arrêter.»
En parallèle, son compagnon exerce un contrôle toujours plus important sur sa vie. Apparence physique, personnes qu'elle fréquente, journées de travail. Si aucun des neuf albums pour lesquels il l'a signée ne sortira jamais, Sean Combs possède les clés de son domicile et l'appelle sans cesse. Lorsqu'elle ne répond pas, son personnel, ses assistants et ses agents de sécurité la harcèlent «jusqu'à ce qu'il la trouve».
Elle tentera bien de lui dire, «gentiment», à quelques reprises, qu'elle ne veut plus faire de bêtises. «Je voulais qu'il sache que ça me faisait me sentir inutile», dit-elle à la barre, de rares larmes dans les yeux qu'elle essuie avec un mouchoir. Pour toute réaction, Sean Combs se serait montré dédaigneux. Craignant un accès de violence ou qu'il ne la remplace par quelqu'un d'autre, la jeune femme fait machine arrière.
Et gare aux moments où Diddy se met en colère. Lorsqu'elle le repousse ou l'ignore, «ses yeux deviennent noirs». Certaines disputes aboutissent «généralement» à une démonstration de violence physique. Lèvres éclatées, yeux au beurre noir, marques au front et «ecchymoses sur tout le corps».
Petit à petit, Casandra Ventura finit toutefois par réaliser que ce «côté abusif» et «contrôlant», ainsi que ses perpétuels changements d'humeur, l'affectent «énormément». L'un des déclics aura eu lieu en 2016, à l'hôtel InterContinental de Los Angeles. Cassie est en plein freak-off lorsque son amant devient violent.
«Après qu'il m'a frappée et que j'ai vu le résultat, j'ai su que je devais sortir», témoigne-t-elle au tribunal, ce 13 mai, en précisant qu'elle voulait pourtant être en forme pour une première de film, le lendemain. «L'instant d'après, j'ai été projetée au sol. C'était très rapide.»
Son premier jour de témoignage au tribunal de New York s'est achevé par la rediffusion des images de Sean Combs l'agressant dans le couloir de l'hôtel. Lorsqu'un procureur lui demande pourquoi elle est restée au sol, alors que l'accusé la ruait de coups de pied, Cassie répond calmement:
Il faudra attendre 2018 pour qu'elle s'échappe définitivement. Son témoignage, qui doit se poursuivre ce mercredi, évoquera sa fuite.