Trois jours avant le début de l'Euro, nous avions publié un sondage dans lequel seulement 25% des personnes interrogées estimaient que Murat Yakin était l'entraîneur idéal pour notre équipe. Un chiffre qui témoignait de la défiance du pays envers son sélectionneur, mais qui ne manquait pas d'une certaine logique, surtout après la campagne de qualifications poussive de la Suisse (elle s'était qualifiée tardivement pour l'Euro en terminant 2e d'un groupe dont elle était pourtant la favorite).
Depuis l'automne dernier, Murat Yakin a dû essuyer de nombreuses critiques. Au début, ce n'était que des remarques désobligeantes. Mais par la suite, une véritable campagne contre lui s'est étendue dans tout le pays. Certaines histoires ont été amplifiées et déformées pour aboutir toujours à la même conclusion: Yakin doit quitter son poste. C'est allé si loin qu'un journal renommé de Zurich n'a cessé d'écrire sur la relation prétendument conflictuelle et irréparable entre Granit Xhaka et son sélectionneur, mais n'a pas cité le capitaine lorsque celui-ci a déclaré: «J'espère que nous irons à l'Euro avec Yakin.»
L'automne a été brutal pour Yakin. Pas seulement à cause des critiques venant des médias et du public. Car il a aussi été contesté en interne. A chaque résultat qui ne correspondait pas aux attentes, son supérieur Pierluigi Tami se distançait de plus en plus de lui. Jusqu'à ce que le sélectionneur se retrouve tout seul, sous la pluie et face au vent, quasiment lâché par Tami, dans un contexte familial déjà douloureux pour le coach, qui a dû faire face au décès de sa mère adorée.
La réaction la plus humaine aurait sans doute été que Yakin dise à un moment donné, au mois de novembre dernier: «Allez tous vous faire foutre. J'ai atteint tous les objectifs que je m'étais fixés. Vous voulez me détruire? Regardez-vous plutôt dans une glace.»
Il aurait même pu se permettre de ne pas travailler pendant un certain temps. Mais au lieu de se résigner, le sélectionneur a fait ce dont beaucoup ne le croient toujours pas capable: se battre.
Murat Yakin, c'était un joueur talentueux mais paresseux à l'entraînement. C'est un reproche qu'il a souvent entendu au cours de sa carrière et qui n'était pas forcément dénué de vérité. Les entraînements, c'est vrai, n'étaient pas ce qu'il préférait. Mais assimiler cela à un manque de motivation ou de travail est faux. Yakin, même si son attitude calme et impassible ne le laisse pas forcément deviner, a toujours été un battant. Un homme qui donne tout quand ça compte, qui ne se laisse pas démonter par les difficultés et qui se nourrit des critiques pour redoubler d'effort, montrer deux fois plus à ses détracteurs qu'il est l'homme de la situation.
Il n'était donc pas question pour lui d'abandonner. Au lieu de cela, il a analysé ce qu'il fallait faire pour retrouver le chemin du succès. Car l'analyse a toujours été un de ses points forts.
Quand les critiques se sont apaisées et que l'Association suisse de football lui a proposé une prolongation de contrat au printemps dernier, il l'a refusée. Ses détracteurs notoires se sont à nouveau déchaînés contre lui. Ceux qui voulaient le voir partir ont ensuite critiqué le fait qu'il ne voulait pas rester. Cherchez l'erreur.
Mais l'homme de 49 ans ne s'est pas laissé déconcerter pour autant. Il était depuis longtemps concentré sur sa mission, avec pour credo: «Je vais vous montrer à tous.» Yakin ne regardait plus à gauche, n'écoutait plus à droite, mais suivait sa voie sans compromis. Comme il l'a fait autrefois au FC Bâle, qu'il a mené de manière sensationnelle en demi-finale de l'Europa League. Et comme il l'a fait également après son entrée en fonction au sein de l'équipe nationale, lorsqu'il a terminé les qualifications pour la Coupe du monde 2022 devant l'Italie dans des conditions pourtant difficiles (Xhaka n'était pas disponible).
Et aujourd'hui? Nous voyons une équipe nationale qui ne nous avait peut-être pas autant émus et réjouis depuis 2006. Nous assistons à une véritable communion entre les fans et l'équipe. Parce que nous voyons une Nati qui n'a jamais été aussi mûre, expérimentée, humble, orientée vers le succès, sereine, cool, sûre d'elle, solidaire et en quête d'harmonie.
Adaptation en français: Julien Caloz