Depuis quelques semaines, disons-le et pardon à certains de nos estimés confrères, on parle du sport féminin comme d’un petit enfant qui a réussi un beau bricolage. «Et surtout, qu’il ne devienne jamais grand», implorent les éditorialistes attendris, dont la plupart sont des hommes. Plus précisément: paternalistes.
Les mots sont souvent les mêmes: «pureté», «légèreté», «fraîcheur». Pas «intelligence», «solidité», «rigueur». Dès lors qu’il s’agit de femmes, l’Eurofoot et le Tour de France sont moins observés sous l’angle de la performance qu’à travers le prisme du bien et du mâle, les gentilles smicardes contre les vils capitalistes; une certaine idée de la grandeur, comme si les unes étaient destinées à rester vertueuses, donc modiques, et les autres à être glorieux, donc capables de bassesse.
Sous l’effet d’une chaleur humaine surjouée, les plumes ont dégouliné de condescendance tout l’été. Ce lundi matin, elles frétillent devant de jeunes lionnes qui, toutes championnes d'Europe soient-elles, ne semblent valoir que par leur chahut en conférence de presse (pureté), leurs sauts de joie (légèreté) et leurs maillots jetés sur la pelouse (fraîcheur).
En un sens, c’est comme si les footballeuses anglaises devaient nécessairement paraître bonnes et insouciantes, allégorie de la gourdasse en goguette, pour justifier toute la confiance placée en elles, cet emballement médiatique que leur lenteur ne saurait provoquer.
Puisque les temps changent, on les désire rafraîchissantes à défaut de pouvoir les trouver hot. Des chroniqueurs supposément déniaisés, généralement masculins, désignent par la flatterie et le pathos les règles archaïques auxquelles ils voudraient soumettre le sport féminin: une pratique désintéressée (pure et légère). «Une inspiration pour le sport masculin», osent les plus démagos, dont la plupart ne verront pas le moindre match féminin avant que leur média ne les y convie à nouveau.
Plus l’hommage est appuyé, plus il s’enfonce. Exemple: «Il émane de ce football sans calcul, ni mauvais esprit un côté presque enfantin qui manque tant aux hommes.» Pourquoi ces comparaisons à chaque fois qu’il s’agit de commenter le sport féminin? En quoi les deux espèces seraient-elles différentes dans leur approche et leurs aspirations profondes? Pourquoi, une fois surmontés des siècles d’exclusion, des footballeuses hyper compétitives, hyper compétitrices, ne triompheraient-elles pas d’une concurrence intense, éventuellement féroce, pour gagner à leur tour des salaires à sept chiffres, même rouler en Lamborghini et galocher des mannequins brésiliens si ça leur chante? Pourquoi?
Il n’y a pas si longtemps, de nombreuses sportives étaient encore considérées comme «charmantes», «jolies» ou «blondes» bien avant de paraître «redoutables» ou «intenables». S’il faut déceler une forme de progressisme dans le traitement de l’Euro ou du Tour de France cet été, c’est là, entre les lignes: les machos de jadis ont remballé leur libido, leurs phrases de garçons faciles, pour céder au diktat de l’éloge obligatoire. Mais ce n’est pas un réel progrès si, en lieu et place des ischio-jambiers, les regards se focalisent sur les sourires.
Tout l’été, la chronique a commenté l’attitude et l’état d’esprit bien plus que la qualité (ou non) de la performance sportive, la pertinence d’une échappée sur un tronçon exposé ou d’une défense à trois face à un bloc bas qui aligne un seul attaquant, toutes ces choses dont parlent les mecs, entre mecs, quand ils deviennent de vrais mecs.
Il n’y a aucun progrès à imposer au sport féminin la charge, l’apanage de l'insouciance et du bricolage éternel. Il n’y a aucune avancée à lui accorder un droit élémentaire à l’excellence, tout en le dissuadant de s’adonner à une ambition démesurée.
Les footballeuses seront légitimées, dûment reconnues, lorsqu’elles ne seront plus infantilisées, réduites à des velléités mal assurées, mais tellement adorables qu’il faille les vénérer sans réserve - comme un petit enfant qui réussit ses premiers pas. Disons-le, et sans vouloir chercher le contre-pied, on souhaite aux Anglaises toute la lumière et toutes les zones d’ombre du monde, les mêmes polémiques que Ronaldo, des stades pleins d’une foule qui n’aura pas gagné son billet dans un emballage de lessive mais l’aura payé plus cher que sa machine à laver, avec une attente si forte, si passionnée, qu’elle les fera étouffer sous la pression, «le privilège des champions», comme le dit Novak Djokovic. Et là, nul doute que les rivalités deviendront plus farouches, les tacles plus cruels. Imaginer le contraire reviendrait à penser que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres (l'opposé du progressisme).
L’Euro et le Tour de France, bien sûr, ont suscité un engouement sans précédent. Cette clameur ressemble à un cri de ralliement. Le vrai changement interviendra le jour où l’on ne parlera plus d'une finale en disant «quelle pureté», mais «quel match»!