Les larmes de Lara Gut-Behrami face aux caméras ont quelque chose de vrai, d'authentique. A Sölden, il y a deux semaines, elle a fendu l'armure et laissé tomber le masque de l'athlète glaciale face à la presse – qu'elle préfère garder à distance respectable.
Ses pleurs ont une saveur: avant d'être une championne, elle est une femme. Chirurgicale sur les lattes lors de la saison précédente, elle se présente fragile lorsqu'il faut lancer le nouvel exercice, chagrinée par un état de santé entamé.
Si «LGB» skiait sous les couleurs autrichiennes, elle serait sanctionnée de 50 euros d'amende. Cette loi, édictée à l'interne et d'un commun accord par les membres de l'équipe de vitesse, est simple: pas de pleurs devant les caméras, sauf si quelqu'un est mort.
Drôle d'époque.
Les Autrichiens ont raté un chapitre, car le sport est une tragédie grecque, un art que le cinéma a tenté de narrer à travers des destins uniques. Le sport, cette odyssée du dépassement qui renvoie à une pression inhérente, ainsi qu'à la frustration qui s'harnache à elle. Nombreux sont les athlètes, à force de tout garder, de tout contrôler, qui flirtent ou sombrent dans la dépression. La quête individuelle de la compétition a de quoi faire sauter un boulon.
Vivre toute son existence dans le contrôle et rester focalisé sur l'objectif nécessite un mental d'acier. Et parfois, il y a rupture, les émotions vous emportent et le mécanisme de défense s'applique:
De Roger Federer, qui laisse couler des larmes de crocodile lors d'un sacre en Grand Chelem, en passant par la spécialiste de voile Maud Jayet, qui sanglote après sa 4e place aux JO de Paris, les pleurs sont la conclusion (triomphale ou triste) d'une épreuve avant tout émotionnelle.
Le nageur Alain Bernard, lors de son titre olympique 2008, lâchait cette phrase:
L'âme du champion ou de la championne doit intérioriser, car la compétition est un entonnoir dantesque, un excès de tension et de concentration. A un certain stade, il faut bien extérioriser. Michael Jordan, par exemple, même plusieurs années après sa retraite, ne pouvait retenir ses larmes lorsqu'il a été intronisé au Hall of Fame en 2009.
Les pontes du ski autrichien devraient aussi se plonger dans les vidéos d'archive et se remémorer les adieux de leur légende, Hermann Maier, qui n'arrivait pas à cacher son émotion. La fin d'une trajectoire glorieuse et douloureuse (son terrible accident de moto qui a failli lui coûter une jambe). Il est revenu, il a brillé et il a pleuré. Il n'y a pas matière à se flageller, se laisser submerger est normal.
Les sacrifices resteront à jamais imprégnés sur les corps, et les larmes en sont une réponse. Ainsi, les interdire, c'est ne pas comprendre le sport.