Quand on vient d'un monde qui a vu jouer en même temps Jorge Campos, René Higuita, José Luis Chilavert ou Peter Schmeichel, la retraite de Gianluigi Buffon (il l'a annoncé ce mercredi sur les réseaux sociaux), venu au jeu un peu plus tard que les autres, marque la fin de quelque chose; d'une certaine idée de ce qu'est un gardien de but, ce poste qu'occupaient autrefois les «tronches», les forts en gueule, ceux chez qui le médecin du club décelait un grain de folie entre les deux poteaux oreilles.
Gianluigi Buffon (45 ans) était de ceux-là: un vrai personnage dont le prénom avait depuis longtemps été remplacé par un surnom affectueux, «Gigi», deux syllabes qui mettent immédiatement de bonne humeur ceux qui les prononcent (essayez pour voir). Or quand «Gigi» était sur le terrain, il se passait souvent quelque chose. Le portier dégageait une décontraction dont on pouvait mesurer l'étendue au nombre de clins d'oeil qu'il distribuait et qui ne faisaient qu'effrayer un peu plus les attaquants adverses, déjà impressionnés par la stature et le palmarès du bonhomme (12 championnats, 6 coupes nationales, 1 coupe du monde et 1 coupe de l'UEFA).
Gianluigi Buffon n'a jamais remporté la Ligue des champions, mais ce n'est pas ce que l'histoire retiendra, ou alors si, mais pour prendre en affection ce footballeur qui aura passé toute sa vie à chasser le dernier trophée qui lui manque et qui aura échoué trois fois en finale, dont une fois (la première en 2003) aux tirs au but, face à un adversaire (Milan) qui n'était pas meilleur que la Juventus.
Ce soir-là, dans le temple d'Old Trafford, Buffon était entré en prière. Il avait fermé les yeux et joint ses gants en espérant très fort que son équipe triomphe, et ce n'était plus le geste d'un joueur, mais celui de n'importe quel fan de football, ce que le Toscan était jusqu'au plus profond de son âme et ce qui lui a toujours valu la sympathie des supporters, même adverses.
Certes, sa façon de se mettre en scène, de sembler en représentation permanente, en agaçait certains, et il nous est arrivé d'en faire partie, mais on pardonnait beaucoup de choses à ce footballeur qui taquinait plus qu'il ne provoquait, et qui n'a jamais eu la réputation d'être un joueur méchant. Pour preuve son faible nombre de cartons rouges (5 seulement) en 1151 matchs dans un rôle qui le voyait pourtant souvent intervenir en dernier recours.
La longévité exceptionnelle du gardien passé par Parme, la Juventus et le PSG signifie qu'il a vécu à son époque puis à une autre, qui ne lui ressemblait plus vraiment. Sa génération, c'est celle des Oliver Kahn, Essam El-Hadary, Fabien Barthez, Jens Lehmann ou encore Jérémie Janot, de fortes personnalités que l'on suivait du regard autant que le ballon pendant un match.
Tous ces portiers ont pris leur retraite, mais pas Gianluigi Buffon, qui a assisté de près à l'éclosion des gardiens actuels au profil moins exubérant comme David De Gea, Marc-André Ter Stegen, Yann Sommer ou encore Hugo Lloris.
Mais ne le sont-ils pas devenus? Pendant longtemps, on attendait du gardien qu'il brille sur sa ligne et dans les sorties aériennes et au sol, c'est-à-dire qu'il ait des mains sûres et pas plus qu'un pied gauche et demi. Le portier était ainsi une espèce à part sur un terrain de football, ce qui participait fatalement à sa différenciation (que le principal concerné cultivait ensuite lui-même). Mais depuis plusieurs années tout est différent: le jeu moderne réclame des numéros uns capables de briller balle au pied et excellents à la relance. En d'autres termes: des joueurs de champ, qui n'ont donc plus de barre transversale sur laquelle s'accrocher pour fêter une victoire en plongeant leurs yeux bleus dans ceux des supporters émus aux larmes.
C'est ce qu'avait fait «Gigi» Buffon après le succès 1-0 de l'Italie face à la Suède à l'Euro 2016 (photo ci-dessus), dans une séquence qui dit tout ce qu'il était, et tout ce qui n'est plus.