Derek Murphy est un ancien coureur de marathon. Et durant son temps libre, il tente à sa manière de rendre la course à pied juste et équitable. Non pas en aidant les organisations antidopage, car l'Américain traque d'autres tricheurs, ceux animés par la roublardise.
Il chasse les runners qui ne parcourent pas la distance totale de course. Ces sportifs qui préfèrent prendre un raccourci. A pied, à vélo ou en transport en commun. Ceux qui donnent leur puce à des concurrents plus rapides, afin de signer un meilleur temps.
Ces «athlètes» sont, selon Murphy, plus nombreux que nous le pensons. Ce qui les pousse à passer à l'acte? Non pas la victoire, ce serait beaucoup trop gros. Ils recherchent des likes sur les réseaux sociaux. Une publication annonçant un record et les réactions s'enchaînent les unes après les autres.
Pour débusquer les tricheurs, Derek Murphy peut compter sur sa maîtrise des données. Business analyst le jour, il consulte les résultats des grands marathons le soir, à l'aide de son ordinateur et d'un algorithme rendant son travail moins fastidieux. Le détective recherche les signaux d'alarme, surveille les photos de la ligne d'arrivée et les temps intermédiaires. Il s'appuie aussi sur les témoignages rapportés par certains coureurs, qui en suspectent d'autres de tricherie.
Derek Murphy souhaite que la distance mythique du marathon soit respectée. Il ne veut pas que les valeurs de cette épreuve soient bafouées. Avec une bande de compères, il s'acharne donc à faire respecter les 42 km 195. Début 2017, son blog recensait déjà - un an et demi après son lancement - 250 résultats problématiques.
L'investigateur a réussi son premier coup lors du marathon de Boston en 2015. Selon lui, 47 des participants ont triché en amont de la course afin de se qualifier. Il a également épinglé Kelly Agnew, un spécialiste d'ultra trail, qui trichait sur les courses en boucle, en esquivant des tours grâce aux pauses-toilettes. Lors du scandale de Shenzhen en 2018, lorsque 250 coureurs avaient été disqualifiés, il avait recensé une autre tricheuse, s'étant aidée d'un vélo. Il s'est également distingué à Honolulu, dénichant 300 imposteurs.
Honolulu Marathon – Over 300 Runners Flagged in Initial Review. Once again, the @HNLmarathon tried to bury the results. I plan to publish the full results myself. https://t.co/Zdx8rjRzOU
— Derek Murphy (@MarathnInvestgr) December 11, 2018
L'Américain a également fait la Une des magazines spécialisés en accusant Frank Meza, 70 ans, de tricherie. L'homme avait couru le marathon de Los Angeles en 2 heures, 53 minutes et 10 secondes. Un record pour sa tranche d'âge. Il s'est suicidé les jours qui ont suivi la révélation, ce qui vaut des critiques sévères à Derek Murphy. On lui reproche d'afficher des gens pour de minuscules bêtises, et ceux-ci doivent ensuite faire face à un acharnement, notamment sur le web.
Début janvier, Derek Murphy est revenu à la charge, s'intéressant aux performances de Kate Carter sur le semi et le marathon de Londres 2023. Cette dernière, rédactrice en chef du célèbre magazine Runner's World (version UK), aurait manqué le temps intermédiaire du kilomètre 15 lors du semi-marathon. Murphy ne trouve d'ailleurs aucune photo d'elle du kilomètre 10 au kilomètre 20. Et grâce à son temps final, il constate qu'elle a parcouru cette portion bien plus vite que son rythme initial.
Carter s'est évidemment défendu. Elle évoque un «accident pipi». Elle se serait donc éloignée brièvement du parcours et il est possible qu'elle n'ait pas repris la course à l'endroit exact où elle l'avait quittée. A noter que selon Murphy, l'athlète aurait également menti à propos de sa montre, prétextant qu'elle ne fonctionnait plus pour publier sur Strava la trace d'un autre coureur.
En ce qui concerne le marathon, Kate Carter n'y a pas officiellement participé, puisqu'elle l'a couru sans puce. Elle a en revanche téléchargé sa course sur le réseau Strava, et c'est là que Derek Murphy est intervenu. Selon lui, l'athlète aurait créé manuellement sa trace GPS, via un logiciel type GPX Studio. Car celle-ci ne concorde pas avec les standards habituels et comporte beaucoup d'erreurs. Là encore, Carter se justifie. Elle aurait prévenu l'organisateur qu'elle ne participerait pas au marathon de manière officielle, faute de jambes.
Tout cela peut paraître amusant, mais figurez-vous qu'England Athletics s'est emparé du dossier, pour finalement conclure que Carter n'a jamais eu l'intention de tricher. L'instance laisse néanmoins planer le doute avec le commentaire suivant: «Aucun de ces incidents n'a atteint le seuil de la faute grave».
Derek Murphy enrage et n'est pas loin de penser qu'il y a eu passe-droit, étant donné le poste influent de Kate Carter chez Runner's World et celui de son mari, chef des sports au quotidien britannique The Guardian.