La vie d'un cycliste ressemble à la deuxième étape du Tour de France 2020 autour de Nice.
Les coureurs finissent toujours par revenir au même endroit. Mais entre le début et la fin de saison, leur trajectoire est faite de variations que le relief ci-dessus exprime bien. Le cycliste vit successivement des périodes de récupération, de progression ou de plénitude, ce qu'on appelle dans le langage sportif des pics de forme. L'idée, pour tous les champions, consiste à faire coïncider ces rares moments de perfection physique et mentale (au nombre de deux ou trois par saison) avec leurs objectifs. Un spécialiste de classiques planifiera sa saison dans l'espoir d'être en pleine possession de ses moyens au printemps, un vainqueur potentiel du Tour de France visera le mois de juillet, etc.
L'exercice est délicat car un «pic» de forme, par définition, ne dure jamais qu'un instant. «Entre deux et quatre semaines», songe Danilo Wyss, néo-retraité du peloton. Le coureur valaisan Simon Pellaud dit un mois. Julien Jurdie (directeur sportif chez AG2R Citroën) entre trois et cinq semaines. «Un coureur de Grand Tour vise 21 jours en espérant être au sommet lors des sept derniers. Pour un spécialiste de classiques, la performance doit être pensée sur quatre ou cinq semaines.»
Tous reconnaissent que la notion de pic de forme a évolué ces vingt dernières années. «La saison est tellement dense, le niveau si élevé, que les coureurs sont tous à un très bon niveau chaque fois qu'ils épinglent un dossard», résume Jurdie. Mais le dirigeant français sait que les meilleurs ne peuvent faire l'économie d'une progression réfléchie. «Notre coureur Greg van Avermaet est à 70% en janvier, 90% en avril et 100% pour ses grands objectifs.» Une évolution graduelle «qui nécessite une planification précise», rappelle Danilo Wyss. «Un pic de forme, ça se prépare pendant plusieurs semaines, plusieurs mois», ajoute Simon Pellaud.
Le Valaisan s'était tellement bien préparé en 2019 qu'il avait abordé le Tour de Romandie dans les meilleures conditions (ici, l'expression n'est pas galvaudée). «Je suis arrivé au sommet cette semaine-là. J'avais travaillé physiquement, mais aussi mentalement afin de répondre présent à 100%. J'avais repéré le parcours et je m'étais imaginé en train de souffrir sur ces routes.»
D'autres que lui considèrent les courses précédant le Tour de France comme des paliers à franchir pour atteindre leur plein potentiel en juillet. À ce degré de compétitivité, chacun a sa méthode. Grégory Ornon décrypte les deux principales. «Elles dépendent de la physiologie de chacun et sont donc très variables d'un coureur à l'autre», précise l'ex-médecin de l'équipe AG2R Citroën.
Ceux qui, sur le Tour de Romandie, voudront aller «taper au fond», comme dit Simon Pellaud, sous-entendu provoquer ce fameux effet de surcompensation, ont déjà coché la quatrième étape de la boucle romande: 180 kilomètres entre Aigle et Zinal, plusieurs cols à franchir pour une arrivée à 1665 mètres d'altitude. Le tremplin idéal vers le pic de forme, cette parenthèse enchantée qui sublime les coureurs.
Adaptation d'un texte paru le 29 avril 2021 sur watson