Le centre-ville d'Aigle, d'habitude si calme un dimanche, cédera de la quiétude pour le troisième plus grand événement sportif au monde. Un peu en dehors, le Centre mondial du cyclisme UCI (CMC) accueillera toute la caravane du Tour de France, toute la famille, avec une exposition de photos et de souvenirs. Un pied dans le passé, un autre dans la modernité galopante: des millions de téléspectateurs, un ballet d'hélicos, la longue caravane du Tour, des milliers de personnes massées au bord des routes.
Aigle sera le carrefour du vélo, point de départ d'une étape de montagne qui se terminera en apothéose juste de l'autre côté de la frontière, à Châtel. Mais le chef-lieu du Chablais, entouré de ses cols alpestres, terrain de jeu plébiscité par de nombreux cyclistes romands, sera traversé par le peloton à deux reprises. Une aubaine, une opportunité unique qu'offre l'équipe de Christian Prudhomme, grand cacique de l'événement.
Une opération que la ville aiglonne mène depuis quelque temps, rendue possible grâce à l'arrivée du siège mondial du cyclisme. Ce Centre mondial du cyclisme, inauguré en 2002, accueille une sélection d'apprentis cyclistes venus des quatre coins du monde et réunit les dirigeants du cyclisme.
Grégory Devaud, syndic de la ville d'Aigle, joint par téléphone alors qu'il pédalait sur son vélo, explique tout le travail pour faire venir l'événement cycliste.
Et comment une ville de 10 000 habitants peut accueillir un tel événement, par quel biais les équipes d'Amaury sport organisation (ASO) ont pu proposer pas un, mais deux passages à la cité aiglonne? «Le Tour de France cherche la symbolique. Lausanne pour le Comité international olympique (CIO) et Aigle pour le Centre mondial. De plus, ce sont les 20 ans du siège», souligne Grégory Devaud. Un travail de longue haleine, avec des hauts et des bas. Le souvenir térébrant de l'annulation 30 jours avant le début des championnats du monde, en 2020, à Martigny (VS) aurait pu frustrer le syndic aiglon. Rien de tout ça, la passion a parlé. Avec le Tour de France et cette grande fête annoncée, Grégory Devaud dit «raviver la flamme pour relancer une stratégie et un développement sur le long terme».
Pour Laurent Dufaux, ancienne figure du cyclisme suisse, le vélo a toujours été populaire dans la région. «Cet engouement certain a redoublé avec le e-bike, le gravel et grâce à la période de pandémie. Le vélo a la cote actuellement. Les gens se sont rendu compte que c'est un magnifique moyen de locomotion.»
Le dernier vainqueur du Tour de Romandie (1998) explique que le siège a donné une crédibilité au chef-lieu du Chablais. Mais le cyclisme a toujours été très présent. «Il y a une histoire qui entoure le cyclisme à Aigle. Le cyclophile Aigle est vieux de 100 ans. Aigle a fait et fait beaucoup pour le cyclisme. Et ici, le terrain de jeu est magnifique.»
Une juste récompense pour une ville qui vit et inscrit le cyclisme dans son ADN. «Le comité d'organisation, sous l'impulsion de Grégory Devaud, s'est investi corps et âme, et ce durant plusieurs années pour draguer la société organisatrice du Tour de France», confirme Laurent Dufaux. «Le Tour de France est une machine de guerre.»
Des propos que le champion olympique d'Atlanta (1996), Pascal Richard, appuie. «Nous avons amené une aura à la ville grâce à nos exploits. On a donné une impulsion avec Laurent Dufaux il y a 30 ans.»
Mais si tout le monde s'accorde à dire qu'un véritable travail est produit, surtout grâce à la passion sans faille de Grégory Devaud, Pascal Richard déplore un manque de continuité et d'évolution, tel qu'on le voit dans les pays de vélo. «A Copenhague, on voit des autoroutes pour vélo. En Suisse, en 20 ans, ça n'a toujours pas changé. J'en ai parlé à maintes reprises à l'ancien conseiller d'Etat Philippe Leuba.»
Fait bourgeois d'honneur de la ville d'Aigle en 1996, Pascal Richard plaide pour un travail plus en profondeur dans la région. «Faire le col des Mosses un dimanche, c'est impossible. C'est dangereux, il n'y a pas de peinture sur les routes, aucune piste cyclable digne de ce nom. La Suisse est un terrain de jeu sublime et il faut l'utiliser à bon escient.» Et le Tour de France pourrait créer ce renouveau. «En Suisse, on ne se rend pas compte de la chance de recevoir d'une telle course. On nous fait des histoires pour une route fermée, mais le passage du Tour ici est inestimable. Le peuple suisse aime bien les événements, mais si c'est fait ailleurs», tonne Pascal Richard.
Désormais installé à Châtel-Saint-Denis (FR), Richard pense que la ville d'Aigle «doit en faire plus et donner encore plus d'importance au cyclisme». Le champion reste persuadé et assure que le regain de popularité après le passage du Tour sera fort.
Côté commerce local, l'ancien pro Dylan Page, responsable du magasin familial Dom Cycle, véritable institution pour les cyclistes du coin, souligne «l'évolution du sport outdoor et l'énorme engouement autour du vélo».
Page relève aussi que «de plus en plus de femmes» pratiquent le sport cycliste. Des cyclosportifs toujours plus nombreux, Dylan Page parle même d'un boom depuis environ trois ans sur les routes de sa région. Une tendance que le Tour de France et la ville d'Aigle continueront minutieusement à soigner ces prochaines années.