Sur les images diffusées par la télévision italienne le samedi 4 mars dernier, lors de la mythique épreuve cycliste des Strade Bianche, les téléspectateurs n'ont pas tous remarqué la protubérance qu'une «rondelle» grande comme une pièce de cinq francs dessinait sous le maillot de la coureuse américaine Kristen Faulkner.
Les commissaires de l'Union cycliste internationale (UCI), aux yeux desquels rien n'échappe depuis qu'ils disposent de l'assistance vidéo, ont quant à eux très rapidement remarqué la forme suspecte. Intrigués, ils ont mené l'enquête pour découvrir que Faulkner avait un glucomètre (ou capteur de glycémie) planté dans le haut du bras gauche.
Souvent utilisé par les personnes diabétiques, ce capteur sous-cutané transmet en temps réel les valeurs du taux de glucose dans le sang à un boîtier ou une application, permettant ainsi au malade d'adapter les doses d'insuline selon ses besoins.
Or Kristen Faulkner n'est pas malade. Elle ne souffre pas de diabète. Elle a choisi de détourner l'appareil de son utilisation première afin d'optimiser ses performances, ce que la sportive de 30 ans n'est pas la seule à faire. «Le glucomètre est devenu ces dernières années un produit commercial destiné à aider les athlètes dans leur recherche de la performance parfaite», renseigne le webzine belge Cyclisme Revue.
«L’utilisation d’un glucomètre peut permettre aux pros de mieux gérer leur apport en glucides pendant une course, résume le site spécialisé Velo 101. Les cyclistes peuvent ajuster leur alimentation en conséquence des données livrées par le capteur, ce qui peut les aider à maintenir un niveau d’énergie constant et à éviter les épisodes d’hypoglycémie ou d’hyperglycémie.»
Voilà pour la notice d'utilisation. Mais prenons un exemple concret afin de mieux saisir les enjeux de la méthode: imaginons un coureur italien que nous appellerions Severino Friarello. Ce grimpeur de 28 ans, en pleine échappée sur le Tour de France, est pris en étau par une chaleur écrasante et un vent de face. Le champion puise dans ses réserves pour garder son avance en tête de la course. Sous sa manche gauche, une petite bosse indique un capteur de glucose, dont les données sont transmises en direct à son staff. Or ces informations justement témoignent d'une baisse énergétique laissant redouter une fringale. Le team de Friarello est alerté. Puisqu'il connait par coeur son coureur et ses besoins, il lui suffit de lire les chiffres à l'écran pour savoir quels types de barres énergétiques et de boissons le coureur devra prendre au prochain ravitaillement afin de remettre un peu d'essence dans le réservoir.
Mais ce monitoring du corps est-il aussi efficace qu'il en a l'air? Peut-il à ce point aider les coureurs dans leur quête de performances? Le Dr Gérald Gremion pense que non. L'ancien médecin-chef du département de médecine du sport au CHUV n'est pas loin de crier au scandale.
Le recours aux capteurs est aussi accueilli avec beaucoup de prudence par Boris Gojanovic, responsable santé et performance à l’Hôpital de La Tour. «Je suis un peu sceptique sur l'utilisation du procédé en compétition, étant donné que le corps arrive plutôt bien à gérer ses taux de glucose et à savoir quand la fringale arrive.»
Le spécialiste en médecine du sport rappelle toutefois que les glucomètres n'ont fait que récemment leur apparition sur la scène sportive et qu'il est encore trop tôt pour émettre un avis définitif sur le sujet, surtout qu'on ne connaît pas encore l'étendue de leur application lors des entraînements.
La société Supersapiens a déjà compris tout ce qu'elle avait à gagner sur ce nouveau marché. Elle s'est spécialisée dans la mise à disposition (évidemment payante) de glucomètres pour les sportifs amateurs et professionnels. Elle leur propose des capteurs à porter jusqu’à 14 jours d’affilée, leur permettant de définir les périodes durant lesquelles ils doivent mieux s’alimenter, se reposer ou refaire une séance d'entraînement.
Des indications utiles pour les cyclistes, donc, et qui le seraient tout autant pour les marathoniens ou les spécialistes du 50 km en ski de fond. Pour que l'utilisation des glucomètres se généralise, il faut deux conditions:
L'Union cycliste a d'ailleurs déjà tranché en interdisant le recours au capteur durant les compétitions. C'est en vertu de ce point de règlement qu'elle a disqualifié Kristen Faulkner (3e des Strade Bianche sur la ligne d'arrivée) début mars. Une décision que l'Américaine a regretté dans un communiqué:
La déclaration de Kristen Faulkner a le mérite de réouvrir le débat sur la frontière parfois très mince qui sépare le dopage des soins médicaux auxquels les sportifs de haut niveau ont légitimement droit. «Toute la question est de savoir si une substance qui permet d'éviter des problèmes de santé est dopante ou soignante», résume le Dr Boris Gojanovic, qui a bien saisi tout l'enjeu du recours aux glucomètres:
L'instance faîtière devra se positionner et déterminer si le fait qu'un sportif puisse profiter d'un capteur pour s'alimenter ou gérer son effort constitue un cas de dopage technologique, la méthode lui permettant de disposer d'un avantage technologique sur ses adversaires. Sans position ferme de la WADA, les Fédérations risquent bien de voir un jour de faux-diabétiques au départ de ses compétitions, brandissant le certificat médical comme un blanc-seing.