Renato Steffen, qui a été le meilleur joueur de Super League cette saison?
C'est à d'autres de le dire. Mais bien sûr, si vous regardez du côté des statistiques, je serais probablement cet homme. J'ai du mal à dire que je suis le meilleur.
C'est une nette amélioration par rapport à la saison dernière.
Débarquer de Wolfsburg n'a pas été simple. J'ai été bousculé par la différence de mentalité. Les autres devaient également me découvrir, et c'est vrai que je ne suis pas simple à vivre.
On dit pourtant de vous que vous êtes une personne adorable.
Disons que j'ai deux visages. Celui de la sphère privée et celui du terrain. Vous pouvez me parler de tout et vous amuser en ma compagnie. Mais en matière de football, je suis très exigeant. Envers moi, mes coéquipiers et toutes les personnes qui travaillent au club.
Votre entraîneur Mattia Croci-Torti semble aussi exigeant et passionné que vous. Pourquoi subsistait-il alors des problèmes d'intégration?
Notre coach a 25 autres joueurs à gérer et intégrer. Puisque nous nous ressemblons tous les deux, nous n'avons pas manqué de nous confronter à plusieurs reprises. Pour moi, les changements qui devaient être faits au sein de notre organisation ne venaient pas assez vite. Je lui ai dit.
Et les rumeurs ont fusé.
Evidemment. C'est justement lorsque je ne suis pas satisfait de moi-même ou de l'intensité des entraînements que je ressens une certaine frustration, frustration que j'exprime contre l'entraîneur.
Vous avez ensuite demandé des amendes.
Vous savez, le football a changé, même dans les vestiaires. On y trouve des téléphones, les réseaux sociaux ne nous quittent plus. La discipline doit pourtant être de rigueur. Si vous n’êtes pas discipliné en dehors du terrain, vous ne pouvez pas l’être sur la pelouse. Il y avait un livret d'amendes à Lugano mais celles-ci n'étaient pas appliquées de manière cohérente. Cela ne me convenait pas, et je peux vous assurer que mon initiative a fonctionné.
Qu'est-il désormais interdit au FC Lugano?
Ce qui était en place était bon, mais les amendes n'étaient pas assez douloureuses. Et comment fait-on mal à un footballeur? En tapant au porte-monnaie. Vous savez, si vous entrez dans votre match une seconde trop tard, cela peut décider du résultat de la rencontre. Il s'agit d'être concentré.
Vous dites que les footballeurs doivent être reconnaissants de pouvoir faire ce travail. Cela signifie-t-il que vous jouez toujours tel un gamin dans une cour de récréation?
J'aime être sur le terrain avec l'équipe. Tout ce que j’ai accompli n'est pas pris pour acquis. J'essaie de transmettre cela à tout le monde, à mes enfants ainsi qu'aux jeunes joueurs. Je leur dis que Lugano ne doit être qu'une étape. Ils doivent viser plus haut, avec le sérieux nécessaire mais aussi le plaisir de jouer. J'essaie de ressentir cela sur le terrain.
Mais vous n'appréciez pas que le plaisir. Pourquoi réussissez-vous tant lorsque les supporters adverses vous huent à chaque touche de balle?
A Thoune, mon premier club professionnel, j'ai même été sifflé par mes propres supporters, car j'ai posé avec le maillot d'YB - mon futur employeur - alors qu'il restait quatre matchs à jouer.
Du Steffen tout craché?
Vous voulez dire parce que je n'ai pas réfléchi aux conséquences?
Oui.
Dans ce cas, oui. Mais je ne suis pas aussi endurci que je le laisse paraître. Les sifflets m'ont touché. J'ai néanmoins réussi à les utiliser comme une motivation supplémentaire, pour signaler aux fans par le jeu qu'ils avaient tort.
Provoquez-vous délibérément les insultes à votre encontre?
Naturellement. J'ai une bonne intuition sur le terrain. Je sais ce qu'il faut, à moi et à l'équipe. Cela peut parfois être des sifflets. L'inconvénient, c'est que j'ai très vite été catalogué parmi les empoisonneurs, les têtes brûlées, les provocateurs. Je n'ai aucun problème avec ça lorsque cela concerne le football. Mais quand les gens ne font pas la différence avec l'homme, cela fait parfois mal.
Après avoir marqué un but somptueux contre Bâle, vous avez fait un geste, comme si vous vous coupiez la main. Le président de Bâle, David Degen, avait auparavant déclaré dans un podcast que sa propre main aurait été coupée s'il avait dû signer un contrat en suivant vos revendications salariales.
Célébrer un but est un instant que j'apprécie. Ce geste était approprié, car Bâle a toujours été un sujet de discussion depuis mon départ. J'ai eu du mal avec cette déclaration qui suggérait que j'avais un salaire monstre à Lugano. Je ne peux pas accepter de tels propos. Je n'ai pas eu besoin d'argumenter, un geste vaut parfois mieux que des mots.
Nous pouvions lire une certaine nostalgie dans cette célébration, un rappel de cette époque où vous jouiez à Bâle.
Lorsque j'étais à Wolfsburg et que je songeais à revenir en Suisse, le FC Bâle était mon vœu n°1. Oui, j'aurais aimé y retourner. J'y ai vécu le meilleur, même s'il a fallu du temps pour que les fans m'acceptent. Une fois cet obstacle franchi, j’ai trouvé Bâle magique.
C'est exactement ce qui manque à Lugano.
Oui, et lorsque l'on vient de Bundesliga, le fait qu'il n'y ait que 3000 spectateurs est encore plus difficile à accepter. Heureusement, ceux qui nous soutiennent sont extrêmement enthousiastes.
La porte du FC Bâle est-elle définitivement fermée?
Je crois que oui. Cela dépend surtout de leur stratégie. Ils recrutent principalement de jeunes joueurs et ne veulent pas des anciens comme moi, qui n'ont aucune valeur à la revente. Après, un joueur plus âgé et de qualité peut rendre les jeunes meilleurs et augmenter leur valeur marchande.
Avez-vous un exemple?
Oui. La saison dernière, j'ai aidé Lugano à vendre Mohamed Amoura à l'Union saint-gilloise pour quatre millions. Le joueur dispose désormais d'une valeur marchande d'environ 20 millions d'euros. Lugano suit en fait la stratégie qui a fait de Bâle le n°1 du foot en Suisse jusqu'en 2017. Vous disposez d'un cadre de joueurs matures à l'ombre desquels les jeunes se développent, mûrissent et peuvent être vendus en réalisant un profit. Ce n'est pas surprenant, l'ancien directeur sportif du FC Bâle, Georg Heitz, a joué un rôle majeur à Lugano.
Changeons de sujet. Vous étiez blessé en 2016, n'étiez pas convoqué en 2018 et avez déclaré forfait en 2021. Craignez-vous de vous blesser dimanche lors de la finale de la Coupe de Suisse, juste avant de rejoindre la Nati?
La peur de la blessure était certainement plus grande avant la Coupe du monde 2022. Parce que je voulais absolument participer à un tournoi majeur. En fait, je pense qu'il peut m'arriver quelque chose si j'entre sur le terrain avec une certaine prudence. C'est pourquoi je vais tout donner en finale.
Pourquoi Lugano remportera-t-il cette finale?
Parce que nous devons nous rattraper. La défaite en finale l'an passé contre YB était évitable. Puis je suis arrivé à Lugano pour gagner des titres et je n'ai pas encore tenu ma promesse. Ma fille sera également au stade pour la première fois. Et mon fils, qui aura bientôt six ans, m'accompagnera sur le terrain.
Quand votre fils vous demande: «Papa, que vais-je faire plus tard? Footballeur ou peintre?», que répondez-vous?
Il ne me le demande pas, car il le sait déjà. Il dit qu'il veut faire ce que je fais. Il joue déjà et tente beaucoup de choses avec un ballon. Je me reconnais dans ses yeux brillants. Puis je dois me pincer pour ne pas devenir trop émotif. Pour lui, le football est la plus grande chose qui puisse exister, je ne le pousserai pas, mais je l'encouragerai.
Pour beaucoup, le football est un ascenseur social. Il est considéré comme un sport réservé aux classes populaires. Même en Suisse, pays riche, les professionnels issus des familles aisées sont rares. Pourquoi votre fils serait-il une exception?
Parce que j'ai conservé les valeurs qui m'ont été inculquées. Je répète à mon fils que ce n'est pas parce que je gagne plus que les autres pères que nous sommes meilleurs. Tout est question de travail et de persévérance.
Vous pouvez le dire maintenant, vous qui avez un temps perdu pied à Berne lorsque les premiers gros salaires sont tombés.
C'était seulement ma deuxième année chez les professionnels. Je me sentais comme un roi. Je pouvais me permettre des choses dont je n'avais jamais osé rêver en tant qu'apprenti peintre en bâtiment.
Qui à YB est venu sonner la fin de la récréation?
Le président, l'entraîneur, le directeur sportif et mon conseiller. Nous étions tous réunis dans la même pièce. Ils savaient où et quand je sortais. Je croyais qu'ils n'étaient pas au courant.
On vous espionnait?
Disons que je n'ai pas fait les efforts pour passer inaperçu. Je me rendais dans les clubs avec une voiture loin d'être discrète. J'avais l'impression d'être le roi. Je viens d'une famille ouvrière et d'un coup, j'ai pu réaliser mes rêves. J'ai acheté une grosse voiture. Et lorsque l'Audi R8 était garée devant un club zurichois, tout le monde savait que j'étais là. C'était une bonne leçon quand on m’a dit:
Vous rejoindrez l'équipe nationale après la finale. De manière personnelle, je manque cruellement de confiance, après notre automne difficile.
Ce n'est pas mon cas. Les résultats ont été décevants, mais dans cette équipe, tout le monde travaille à merveille. C'est uniquement à cause de nous, les joueurs, si nous avons trébuché un peu. Nous l'avons évoqué sans détour. Je me rends à l'Euro avec joie et confiance.
Il y a eu un véritable acharnement dans les médias. Nous avons parlé de la relation Yakin-Xhaka puis du licenciement de l'entraîneur.
Lorsque Granit est attaqué, ce n'est pas évident pour moi. Il vit pour le football. Il est exigeant et en demande autant de tous ses partenaires. Il n'est pas content si nous gagnons seulement 2-1 contre Andorre. C'est étonnant de voir la façon dont il est parfois présenté dans les médias.
Et Yakin?
Les entraîneurs sont sur un siège éjectable. Mais il aurait été erroné de le forcer à démissionner. Si nous ne défendons pas, il n'y peut rien.
Adaptation en français: Romuald Cachod.