Sans forcément connaître son nom, tous les fans du Servette FC ont déjà vu Daniel Blanco. Sur le terrain à l'échauffement, sur le banc, ou dans les vidéos d'après-victoires au vestiaire, postées par le club sur les réseaux sociaux.
Toujours en survêtement, ce quadra au physique imposant joue le rôle d'ambianceur, lançant les chants et sautant au milieu des joyeux lurons. Parfois même avec... des bouteilles de lait dans les mains, comme après le succès à Genk en août dernier. Il se marre au bout du fil. «Je ne sais toujours pas comment elles ont atterri dans mes mains! Quand on gagne, je suis comme en transe, j'oublie même certaines choses que j'ai faites ou dites».
Mais Daniel Blanco n'est de loin pas que le boute-en-train attitré de Servette. «Je suis avant tout l'entraîneur des gardiens», recadre-t-il en rigolant. Si ce Genevois «pure souche» profite autant des moments de joie avec son club, qu'il a rejoint en 2011, c'est déjà parce qu'il est «quelqu'un d'entier», comme il se décrit, mais aussi grâce à son parcours insolite, loin des sentiers battus. «Il a été semé d'embûches», prévient-il d'entrée, avant de se lancer dans un long récit.
Sa première grosse claque, Daniel Blanco la prend avant même sa majorité. Pourtant, tout avait bien commencé dans cette histoire. Jeune gardien prometteur de la région genevoise, il signe un contrat de 5 ans avec la réserve du Deportivo La Corogne, grand club espagnol basé en Galice, la région d'origine de ses parents. Il a même la chance de s'entraîner tous les jours avec l'équipe première, qui deviendra championne d'Espagne trois ans plus tard. Mais le Genevois ne soulèvera jamais le trophée. «Au bout de cinq mois là-bas, je m'explose le genou», explique-t-il avec toujours de l'émotion dans la voix, 30 ans plus tard.
Le train du professionnalisme est passé. Daniel Blanco restera encore deux ans au «Depor» mais, après sa dégringolade dans la hiérarchie des gardiens, il décide de rentrer à Genève. L'ex-pépite reprend ses études de commerce et rejoue avec Grand-Lancy (1ère ligue) puis Lancy (2ème ligue). C'est dans ce second club qu'il commence à entraîner de temps en temps les jeunes portiers. Au milieu des années 2000, à 27 ans seulement, il raccroche définitivement les crampons.
Daniel Blanco accepte. Le début d'une belle histoire, qui durera sept ans.
A côté du coaching et de son job dans une agence de voyages d'affaires, l'Hispano-Helvète passe plusieurs diplômes d'entraîneurs, y compris en Espagne, qu'il finance lui-même. «La formation pour les entraîneurs de gardiens n'était pas très développée en Suisse, contrairement à ce que la fédération espagnole proposait». Le diplôme pro en poche, il devient co-entraîneur de la première équipe de Grand-Lancy jusqu'en 2011. Un événement qui a lieu une année plus tôt va transformer sa carrière.
«Deux de mes jeunes gardiens venaient de rejoindre Servette. Le club, sous la présidence de Majid Pishyar, commençait à partir en vrille. Les entraîneurs de l'académie partaient les uns après les autres», rembobine Daniel Blanco.
Car, à côté, il est toujours en charge du Grand-Lancy FC et bosse à 100%.
«J'y suis allé et, la semaine suivante, les M21 se sont joints à l'entraînement. Puis les M16 quinze jours plus tard». Et ainsi de suite. Après quelques semaines, le colosse (194 cm) est quasiment en charge, de manière informelle, de la quasi-totalité des gardiens de l'académie servettienne.
Pour officialiser cette situation inhabituelle pour un club professionnel, le directeur sportif de l'époque, Costinha, lui offre un contrat. Daniel Blanco s'engage et est contraint de lâcher Grand-Lancy, mais il continue de travailler dans l'agence de voyages. Il y restera à 100% jusqu'en 2014, année de son premier contrat pro à Servette. Entre-temps, le club a changé de mains et est tombé en Challenge League.
Son changement de statut, le Genevois le doit à un personnage bien connu du foot suisse: l'ex-portier de la Nati, Pascal Zuberbühler, nommé directeur technique des Grenat. «Je lui en suis très reconnaissant, car il m'a donné la chance de vivre de ma passion».
A ce moment, il n'a pas encore mis un pied en équipe première. Et c'est paradoxalement pendant l'un des pires moments de l'histoire du club que «Dani», son surnom, va toucher au Graal. «D'une certaine façon, j'ai surfé sur la vague d'un Servette malade», s'excuse-t-il presque au bout du fil. L'événement en question? La relégation administrative du SFC – qui vient d'échapper de justesse à une deuxième faillite – en troisième division en 2015.
Par souci de paix conjugale, Daniel Blanco consulte quand même sa femme.
Emu, il précise que son épouse l'a «toujours soutenu» dans sa carrière. De la reconnaissance, le coach des portiers servettiens en a aussi beaucoup envers Didier Fischer et Alain Studer:
Oui, depuis 2015, Daniel Blanco et le Servette FC ont parcouru un sacré chemin. De la troisième division nationale à un 8e de finale de Coupe d'Europe (ce printemps en Conference League), en passant par les qualifications de la Ligue des champions et, donc, cette finale de Coupe de Suisse dimanche contre Lugano.
L'ex-du Deportivo La Corogne n'oublie pas non plus les «magnifiques moments» qu'il a vécu avec les juniors du SFC, comme ce titre de champion suisse avec les M18 en 2015 ou cette victoire dans la foulée en Youth League (la Champions League pour les jeunes) face au champion d'Espagne, Villarreal.
C'est d'ailleurs en encadrant les jeunes talents grenat que «Dani», décrit par le club lui-même sur Facebook comme «un gars un peu barré», a développé ses qualités de showman. «Les chants, c'est là que ça a commencé. Avec Jérémy Guillemenot, Dereck Kutesa ou encore Denis Zakaria, que j'ai tous eu en juniors». Les deux premiers sont toujours ses collègues en équipe fanion.
Et s'il aime donner de la voix lors des festivités d'après-match, il ne la ménage pas non plus avant. Son charisme et sa psychologie ont poussé le coach principal, René Weiler, à lui déléguer les causeries motivationnelles d'avant-match.
Fidèle à lui-même, Daniel Blanco n'a pas préparé de speech particulier pour la finale dimanche. D'ailleurs, il ne veut pas trop entendre parler, de ce duel face à Lugano. «Je suis superstitieux. Alors quand les gars viennent me demander quelle chanson je chanterai après le sacre, je leur réponds: Tais-toi! Faut d'abord qu'on le joue, ce match!»
Le Genevois concède juste un désir: «Si on gagne la Coupe, ça me ferait plaisir de prendre le micro sur la scène devant tous les fans, comme je l'avais fait lors de la promotion en Super League en 2019». A n'en pas douter, les bouteilles de champagne auront remplacé celles de lait.