Sa note dans «L'Equipe» est celle d'un coupeur de citrons, 4,75 sur 10, même pas la moyenne. Nombre de kilomètres par match: 7,4, dont 1,5 à haute intensité. Au FC Bercher, Lionel Messi trainerait une réputation de feignasse et ses copains gouailleurs lui diraient de se secouer les puces («la Pulga», son surnom en espagnol). Au PSG, à 30 millions d'euros nets par an, l'exaspération reste polie et la patience n'a pas de prix.
Problème, outre les notes: la discipline. Sa démarche sur le terrain est celle d'un homme fatigué, blasé, ailleurs, indifférent au cours des choses (au train où elles vont, pourtant, un petit effort suffirait). «Ce n'est pas de la mauvaise volonté: en quittant Barcelone, Messi a perdu tous ses repères. Il n'y a rien d'étonnant à le voir un peu déboussolé», plaide le journaliste Florent Torchut, correspondant à Barcelone et auteur de trois interviews avec la «Pulga», la dernière le 28 novembre.
Félicitations cher ami @FlorentTorchut ✅👏🏼 https://t.co/5sqZZjOjJj
— Lassana Camara (@mauritaniefoot) December 3, 2021
Certes, Messi n'a pas attendu 34 ans pour avancer lentement et le problème n'est pas là. Marcher, pour Messi, ce n'est jamais que le signe avant-coureur d'une fulgurance. Et puis, tous les grands ont marché: Emmanuel Macron, Neil Armstrong, Aïda, sans aller jusqu'à Jésus et ses prouesses aquatiques.
Mais à Paris, Messi n'a pas la même allure: il semble errer. Peinard, peut-être; un peu hagard. Il déambule entre des lignes étirées, dans un collectif éclaté, sans le moindre coup de rein - pas même un saut de puce.
«A Barcelone, il a grandi dans un style de jeu qui lui correspond, où lui seul était autorisé à porter le ballon, compare Florent Torchut. Il était dans son élément, au centre de tout. A Paris, il n'y a rien de très clair autour de lui. L'animation offensive est extrêmement pauvre. L'entraîneur ne semble pas avoir la maîtrise de son équipe. Messi est pris dans une mauvaise dynamique dont il est à la fois responsable et victime.»
Sur ses airs absents, Florent Torchut résume habilement: «Messi a toujours eu besoin de recevoir beaucoup de ballons pour ne pas se déconnecter du match. En ce moment, il en reçoit peu.»
Mais peut-il toujours justifier ses mauvaises notes, lui et ses potes, par des problèmes de connexion et des embouteillages sur le périph'? Reprenons.
En septembre, sa famille se morfond dans une suite du Royal Monceau, Messi lui trouve enfin une maison mais le jardin n'est pas aussi grand qu'à Barcelone et cette contrariété semble entraîner un rejet des petits espaces.
A la rentrée scolaire, les enfants mettent 1 h 15 pour aller à l'école et, traumatisé, «non seulement Messi ne court pas, il ne se déplace même plus de quelques mètres pour couper les lignes de passes», s'étranglent les commentateurs anglais de Sky Sports.
«Il ne faut pas oublier que Messi a complètement changé d'environnement, sur et en dehors du terrain. Après vingt ans à Barcelone, il est un peu sorti de sa zone de confort», admet Florent Torchut, qui connaît très bien ladite zone: «C'est vrai que la villa des Messi a un grand jardin et qu'à Barcelone, le trafic est toujours fluide. Je comprends que ces aspects puissent paraître futiles au commun des mortels mais on ne peut pas nier une forme de déracinement.»
Et voilà qu'avec les critiques, les flocons lui tombent sur le moral, à leur tour. «Leo souffre beaucoup de jouer dans le froid, et surtout avec la neige», a rapporté dimanche son vieux copain du Barça Luis Suárez: Messi «souffre», c'est bien le mot. Il découvre qu'en France, les hivers sont rugueux, presque autant que les défenseurs, et les notes de «l'Equipe» sont encore plus rudes. Il ne manquerait plus que l'entraîneur soit nul.
[#L1🇫🇷] L’Equipe révèle que le clan Messi aurait des doutes sur Mauricio Pochettino et notamment de ses aptitudes tactiques. pic.twitter.com/OPWoZwc1mm
— Footballogue⭐️⭐️ (@Footballogue) December 6, 2021
Après trois mois néanmoins, les doutes restent diffus, ou prudemment tus. Seul «So Foot» semble poser la question fondamentale des goûts et du souffle de l'artiste:
Le fait que Messi soit possiblement atteint du syndrome d'Asperger, selon les indiscrétions de son ancien coéquipier Romario, contribue peut-être à des débuts timides. Sans valider l'hypothèse, Florent Torchut rappelle que «l'homme est très sensible: il a besoin d'un certain contexte pour se sentir heureux. Ensuite, on ne peut pas nier qu'en passant de Barcelone à Paris, il a perdu plusieurs degrés. Il y a un petit choc climatique et culturel à surmonter.»
Le spécialiste y croit. Sans hésitation. «Tout le monde est en train de tirer des conclusions mais je suis convaincu qu'à partir des mois clés de février ou mars, Messi sera prêt. Le talent ne s'évanouit pas comme ça, en changeant de maillot. Nous sommes ici dans l'émotivité pure. Messi a peut-être des amis dans le vestiaire du PSG, tout le monde y parle l'espagnol, l'entraîneur est argentin, mais le cap à franchir, pour son intégration, est d'abord psychologique.»
S'il échoue, Messi restera l'homme d'un seul club, un club follement aimé, quitté à contrecœur pour quelque chose de plus froid et plus rugueux, où les circuits de passes ressemblent à la circulation routière. Mais Messi a encore tout le temps de réussir (contrat de trois ans) et s'épargner de pénibles comparaisons avec Cristiano Ronaldo, dont les évolutions multiples, d'un pays à l'autre, d'un style à l'autre, d'une Bugatti à l'autre, expriment une aisance naturelle que la Pulga semble réserver jusqu'ici à son talent technique.