Quand un expert avait un jour lâché qu'Andy Murray était l'un des tennismen passant le plus de temps en salle de force, l'info en avait surpris plus d'un. Dans ses t-shirts amples, l'Ecossais ne passait vraiment pas pour le plus balèze. C'est seulement le t-shirt retiré, pectoraux et plaques de choc' aérés, qu'on pouvait acquiescer. La carrière d'Andy Murray, c'était souvent ça: des apparences trompeuses.
Lors du dernier tournoi de Genève, il sillonnait le club des Eaux-Vives dans une indifférence quasi totale, sans fans ou jeunes staffs le suivant à la trace et prêts à dégainer leur smartphone pour un selfie. Tout le contraire de Novak Djokovic. Pourtant, comme le Serbe, Murray a été numéro 1 mondial. Difficile de le croire avec cet anonymat genevois. Comme Djokovic, il a remporté des tournois du Grand Chelem.
Mieux: contrairement au «Djoker», lui a été champion olympique, et plutôt deux fois qu'une (Londres 2012 et Rio 2016). Un exploit que même Roger Federer n'a jamais réussi, se contentant d'une médaille d'argent à Londres, où il avait d'ailleurs perdu contre l'Ecossais en finale.
Nul besoin d'éplucher davantage le CV d'Andy Murray pour comprendre que ce jeudi 4 juillet, c'est bel et bien à une légende du tennis qu'on a dit au revoir. Il est le seul qui a pu durablement contester l'archi-domination des trois ogres, Federer, Nadal et Djokovic. A tel point qu'on a longtemps parlé du «Big 4», qui incluait le Britannique. Pourtant, c'est trop souvent comme la quatrième roue du tricycle qu'il a été considéré, souffrant de la comparaison avec ses illustres collègues. Mais si ceux-ci n'ont laissé que des miettes à tous les autres, Murray a eu le mérite de chiper de la mie.
Il fallait aussi gratter la croûte pour découvrir la vraie personnalité du compatriote de Sean Connery. Après les coups ratés, c'étaient très souvent des grimaces et jérémiades. Après les points marqués, des regards agressifs et un poing serré en direction de l'adversaire. Sans parler de son sourire sur le court aussi visible qu'un fonctionnaire au bureau un vendredi après 15h00. Ces attitudes ont pu donner au double champion olympique des airs de joueur antipathique.
Des exemples? Pas plus tard que jeudi, pendant la cérémonie d'adieux sur le Central de Wimbledon, il a lâché, taquin:
Ou alors cette interview d'après-match à l'Open d'Australie 2023, avec John McEnroe. Pour justifier sa belle perf', Murray louait son propre état d'esprit en avouant avoir «un grand cœur». Et McEnroe d'enchaîner: «Andy, si je peux me permettre, tout est grand chez toi, je pense». La réponse du tennisman, sourire coquin en coin? «Je ne suis pas sûr que ma femme soit d'accord avec ça».
Les femmes, justement. Andy Murray a été un fer de lance pour les défendre dans le tennis, d'abord comme grand porte-parole, avec ses déclarations publiques, de l'égalité salariale sur les tournois. Ensuite, en brisant lui-même les codes: en 2014, il engageait, à la grande surprise (pour ne pas dire stupéfaction), l'ex-championne Amélie Mauresmo comme coach. Sa sensibilité pour l'égalité des sexes le poussait à écrire une chronique en 2020, dans laquelle il expliquait notamment son choix d'enrôler la Française. Extrait:
En fait, Andy Murray se bat pour les causes qui lui tiennent à cœur comme il le faisait sur le terrain. A l'image d'un Lleyton Hewitt, c'est ce fighting spirit que l'on retiendra de lui, plus que son jeu somme toute très standard (complet et très régulier, restant la grande majorité du temps sur sa ligne de fond), que certains ont même décrit comme «chiant à voir».
Jusqu'au bout, l'Ecossais n'aura rien lâché. Pas même l'espoir – vain – de jouer une dernière fois à Wimbledon en simple, deux semaines après s'être fait enlever un kyste à la colonne vertébrale. Et pour continuer à jouer, comme il l'a fait depuis 2019, avec une hanche en métal, il fallait une volonté de fer.
Si cette opération il y a cinq ans n'a pas été fatale à sa carrière, elle lui a toutefois mis une sacrée épine dans le pied: retombé au-delà du 500e rang mondial, le double lauréat de Wimbledon n'a jamais pu retrouver son niveau d'antan. Pourtant, il aura tout essayé: même changer de marque de raquette ce printemps (Yonex pour Head, qu'il avait depuis ses débuts) pour gagner en puissance, alors qu'il savait déjà que sa carrière s'arrêterait cet été.
Oui, Andy Murray est un exemple à suivre. Sur et en dehors du terrain. Son titre de Sir, décerné par la Couronne britannique en 2016, n'a rien d'usurpé. Après le départ à la retraite de Federer en 2022, celui de l'Ecossais réduit le «Big 4» à deux membres en activité. De quoi mettre un nouveau coup de poignard aux nostalgiques de cette époque dorée du tennis. Thank you and goodbye, Andy Murray!