Les réseaux sociaux sont souvent pris d'assaut par une horde de fans qui débattent de tel ou tel match ou décortiquant les foules de statistiques mises à disposition par les ligues.
Ces chiffres permettent des comparaisons entre les joueurs, les clubs ou à travers les saisons. Jude Bellingham (Real Madrid) est par exemple porté aux nues, tandis que Kylian Mbappé (PSG) et Erling Haaland (Manchester City) sont décriés pour leur manque de réussite; un manque d'efficacité devant la cage pour Mbappé, une performance fantomatique pour Haaland face à Arsenal. «Si on se base uniquement sur des statistiques, ça donne une fausse image. C’est ce qu’omettent ces gens avides de statistiques et de réseaux sociaux», tranche Bernard Challandes, ancien sélectionneur du Kosovo.
Très critique envers les réseaux sociaux, le natif du Locle (72 ans) assure qu'ils sont une plaie («ce sont des émotions gratuites») et que les joueurs qui y sont si décriés «travaillent pour l’équipe la plupart du temps».
En novembre 2022, Karim Benzema, dans l'émission «Zack en Roue libre» animée par le twitcher Zack Nani, décrivait cette obsession des statistiques chez les jeunes joueurs et les jeunes supporters.
Le Ballon d'Or français déplore donc, lui aussi, cette tendance (qui n'est pas nouvelle). Il en avait été victime il y a quelques années lorsqu'il évoluait au Real Madrid et présentait un bilan comptable moins impressionnant que celui de la fin de son aventure madrilène.
«Les stats font partie intégrante de la société, de notre façon d’étudier ce qui nous entoure. Et le football appartient à cette société», rappelle Bernard Challandes. Mais le Neuchâtelois persiste: «Elles n'ont pas une grosse influence dans les performances elles-mêmes».
Le cas Mbappé, le week-end dernier, illustre cette obsession des buts et des stats. En jambes et tranchant sur la pelouse face à Rennes, le Français n'a pas pour autant réussi à inscrire son nom sur la liste des buteurs – malgré une occasion en or. Un crime de lèse-majesté pour une partie des fans. Alors les réseaux sociaux ont grondé. Et les comparaisons sont allées bon train: la star du PSG (8 goals en 8 matchs) est opposée à Jude Bellingham (10 buts et 3 passes décisives en 10 parties). Erling Haaland est aussi épinglé par le tribunal virtuel, avec ses huit réussites et deux passes décisives en onze journées.
Ne vibrer que pour des buts et des passes décisives? Une vision trop étriquée qui témoigne d'un manque de connaissance du football.
Steve Rouiller, capitaine et défenseur de Servette, constate que la pression est forte sur les épaules des attaquants.
Si le foot paraît pencher vers un sport individuel, Bernard Challandes évoque a contrario un football de plus en plus collectif. «On demande aux stars de jouer avec l’équipe, devenir de vrais joueurs d’équipe. Un Mbappé est un footballeur qui joue pour l’équipe, qui crée des différences.»
Une course, un shoot, une présence physique qui pèse sur l'adversaire: ce jeu dans l'ombre amène des solutions pour les coéquipiers et fait transpirer les défenseurs en face.
L'importance accrue des statistiques joue un rôle, comme cette tendance à vérifier la distance parcourue, les passes réussies et tout le barnum. «La technologie vient appuyer des analyses et aider les joueurs dans leur développement», assure Challandes, qui déplore toutefois:
Et cette obsession de la sacro-sainte statistique (le «data-football») a des conséquences au sein des équipes. «J’ai déjà entendu que si certains joueurs ne faisaient pas assez de kilomètres par match, des coachs les obligeaient à compenser après le coup de sifflet final», nous confie Steve Rouiller.
Et le Valaisan d'enchaîner:
D'autres aspects peuvent pousser le joueur de foot à se comporter égoïstement, comme penser à sa valeur marchande (que les agents ne manquent jamais de souligner au moment d'un transfert).
Un autre facteur non-négligeable: le spectre des paris sportifs, souvent faits sur la base de statistiques. «J'ai déjà reçu des messages hostiles (réd: de parieurs) après un match pour un but encaissé ou une défaite», souligne Steve Rouiller. On peut facilement imaginer la même chose pour un attaquant qui galvaude une occasion ou ne la conclue pas lui-même. De quoi façonner un comportement individualiste chez les footballeurs? «Je ne pense pas que les parieurs aient une quelconque influence sur les joueurs», balaie le Servettien.
En résumé: avant d'aller décortiquer les statistiques de vos footballeurs préférés, installez-vous confortablement dans votre canapé et savourez le match en entier, en essayant d'observer ce travail de l'ombre si méprisé mais pourtant indispensable.