Alors que la Coupe du monde de rugby bat son plein France, la question du risque de blessure est au centre des préoccupations.
Les chocs et leurs conséquences font partie intégrante de tout sport impliquant des contacts, mais certaines spécificités existent. Les blessures aux jambes sont par exemple fréquentes lors des matches de rugby. Parmi elles, les élongations des ischio-jambiers sont les plus courantes: à elles seules, elles représentent 15% de l'ensemble des blessures recensées chez les pratiquants de rugby à XV.
Lors de la précédente Coupe du monde de rugby, en 2019, ces blessures arrivaient en seconde position, juste après les commotions cérébrales. Elles avaient été responsables à elles seules de près de 50% des jours d'entraînement ou de jeu manqués. Les blessures aux ischio-jambiers sont également les blessures qui surviennent le plus fréquemment durant les entraînements. Avant la Coupe du monde 2023, elles avaient déjà mis sur la touche plusieurs joueurs, ce qui a amené de nombreuses personnes à s'interroger sur les raisons de leur survenue.
Nos travaux de recherche permettent d'apporter un début de réponse.
Cette situation augmente le risque de blessures, y compris à l'entraînement.
Le groupe musculaire des ischio-jambiers est composé de trois muscles situés à l'arrière de la cuisse (le muscle biceps fémoral, le muscle semi-tendineux et le muscle semi-membraneux). Leur trajet va de la hanche jusqu'au-dessous du genou (sur la face postérieure du tibia et du péroné). Ils permettent la flexion du genou, l'extension étant assurée par les muscles quadriceps.
Pousser ces muscles au-delà de leurs limites, que ce soit lors d'un étirement ou d'une surcharge, peut entraîner des blessures douloureuses, voire des déchirures musculaires. Les élongations des ischio-jambiers sont particulièrement courantes dans les activités telles que la course, le saut, ou dans les sports impliquant des départs et arrêts brusques.
Le risque de blessure augmente avec l'âge, et les personnes ayant des antécédents de blessures aux ischio-jambiers sont plus susceptibles d'en subir à nouveau.
D'autres facteurs de risque de blessure ont également été identifiés, tels que la fatigue et la faiblesse musculaire, ou le fait d'avoir des ischio-jambiers moins souples ou plus courts (ces muscles auraient alors plus de mal à supporter les contraintes imposées par certains mouvements).
Certains experts pensent que les muscles travaillent souvent par paires.
Pour clarifier les causes de la fréquence de survenue des blessures aux ischio-jambiers, nous avons examiné le comportement et la structure de ces muscles chez des joueurs de rugby. Nous avons comparé les résultats obtenus avec ceux de personnes pratiquant une activité physique, mais ne jouant pas au rugby.
Nous avons découvert que les muscles ischio-jambiers des joueurs de rugby présentaient une raideur plus importante que ceux des autres participants. Ce n'est pas surprenant, car la raideur musculaire est associée à une plus grande aptitude aux mouvements explosifs, mis en œuvre lors de la course, du saut ou des contacts, autant d'actions fréquentes lors des entraînements et des matchs de rugby.
Nous avons également étudié le volume des muscles des participants. Ce dernier étant lié à leur capacité à exercer une force plus ou moins importante, on pouvait s'attendre à ce que les muscles quadriceps des joueurs de rugby soient significativement plus développés, comparativement à leur taille, que ceux des autres participants. Sans surprise, c'est effectivement ce que nos analyses par IRM (imagerie par résonance magnétique) ont révélé.
En revanche, ce qui est plus surprenant est que:
Ce résultat contredit ceux obtenus lors de recherches antérieures, qui suggéraient que la taille relative des muscles ischio-jambiers tend à être plus importante chez les athlètes pratiquant des sports de force et de puissance, tels que le rugby, par rapport aux athlètes pratiquant des sports d'endurance (et aux non-athlètes).
Au rugby, les protocoles de préparation des joueurs pourraient donc potentiellement conduire non seulement au développement de muscles ischio-jambiers moins flexibles, mais aussi à un déséquilibre entre muscles quadriceps et ischio-jambiers.
Cette raideur accrue, conjuguée à un déséquilibre entre la taille des muscles situés à l'avant et à l'arrière de la cuisse, expliquerait pourquoi les pratiquants du rugby sont davantage exposés que ceux des autres sports au risque d'élongation des muscles ischio-jambiers.
Ce constat plaiderait pour une modification de la préparation des joueurs – y compris amateurs – en consacrant davantage de temps au développement du volume (et donc à la force) des muscles ischio-jambiers, afin d'essayer de corriger le déséquilibre que nous avons constaté.
Pour prévenir les blessures aux ischio-jambiers, la stratégie la plus évidente est de réduire autant que possible les facteurs de risque identifiés. Il est par exemple important de suivre attentivement l'état musculaire des athlètes les plus âgés, ainsi que de ceux qui ont subi par le passé des blessures aux ischio-jambiers. Il est également essentiel de gérer correctement la fatigue des joueurs.
Les pratiquants doivent aussi être encouragés à observer une routine d'échauffement qui soit la plus complète possible. En effet, lorsque les muscles sont chauds, leur élasticité augmente, ce qui pourrait les aider à mieux supporter la tension et de ce fait potentiellement éviter les déchirures.
Il faut cependant souligner qu'en l'état actuel des connaissances, il n'est pas certain que s'étirer avant une activité puisse réellement diminuer le risque de blessure. Néanmoins l'ajout, pendant l'échauffement, d'étirements dynamiques contrôlés pourrait s'avérer bénéfique, surtout s'ils correspondent aux mouvements mis en œuvre durant l'activité sportive.
La plupart des méthodes d'entraînement contemporaines incluent des exercices de renforcement musculaire. Nos travaux suggèrent que de tels exercices ne devraient pas uniquement viser à augmenter la taille, la force et la puissance des muscles, mais devraient plutôt être focalisés sur l'amélioration de leur flexibilité et de leur stabilité, ainsi que sur le renforcement des ischio-jambiers durant les phases d'étirement.
Parmi les exercices pouvant être mis en œuvre, citons le «nordic hamstring» (aussi appelé «nordic hamstring curl» ou « curl nordique»), qui consiste à s'agenouiller sur un coussin (pour plus de confort pour les genoux) et descendre lentement le torse vers le sol, en contrôlant le mouvement. Il a été suggéré que cette pratique pourrait réduire de moitié le taux de blessure aux ischio-jambiers chez les athlètes pratiquant des sports d'équipe.
Cependant, certains experts ont exprimé des doutes quant à l'efficacité réelle de ces exercices, qui semblent par ailleurs n'avoir jusqu'ici été que peu adoptés par les préparateurs physiques. Ceci s'explique peut-être toutefois par le fait que le nordic curl peut-être à l'origine de l'apparition de douleurs retardées.
En définitive, la façon de réduire la fréquence des blessures aux ischio-jambiers chez les joueurs de rugby et dans d'autres sports d'équipe demeure débattue. Une chose est sûre: durant la Coupe du monde de rubgy, les joueurs vont accumuler de la fatigue sur une courte période, ce qui augmentera significativement le risque encouru...
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original