Nous sommes le 10 avril 2018. Des perquisitions sont sur le point de débuter au siège de l'Union internationale de biathlon, à Salzbourg, en Autriche. La police est sur le qui-vive ailleurs, en Allemagne et à Vestfossen en Norvège, le domicile d'Anders Besseberg.
Anders qui? Ce nom ne vous dit peut-être rien, nous parlons néanmoins de l'emblématique président de l'IBU, à la tête de l'organisation durant plus de 25 ans. Le dirigeant en est au moment de la descente de police à son sixième mandat – même Sepp Blatter et ses 17 années de règne à la Fédération internationale de football association (FIFA) ne peuvent rivaliser en termes de longévité.
Mais en ce printemps 2018, la toute puissance s'apprête à lui échapper. La faute à Günter Younger, directeur des renseignements au sein de l’Agence mondiale antidopage (AMA). L'Allemand investigue depuis longtemps sur le personnage: il a déniché de précieux témoignages, en particulier celui de Grigori Rodchenkov, l'homme qui a dévoilé le scandale du dopage institutionnalisé en Russie. Au fil des mois, ses recherches permettent l'ouverture de plusieurs enquêtes policières, Interpol est même contacté.
Concrètement, Anders Besseberg, ainsi que Nicole Resch, alors secrétaire générale de l'Union internationale de biathlon, sont soupçonnés de corruption. Au lendemain de la perquisition, Le Monde, bien informé, rapporte que «Monsieur Besseberg aurait reçu en 2013 une valise diplomatique remplie de grosses coupures», pour protéger les intérêts russes, en dissimulant notamment de nombreux cas de dopage. Autrement dit: la Russie serait parvenue à infiltrer le biathlon mondial. Besseberg comme Resch quittent leur fonction lorsque l'affaire est rendue publique.
Olle Dahlin, qui succède au Norvégien à la présidence de l'IBU, est bien décidé à faire toute la lumière sur cette affaire. Une commission externe est mise en place pour tenter de démêler le vrai du faux. Le bureau examine des milliers de documents et présente en janvier 2021 un rapport de 200 pages, recensant les agissements d'Anders Besseberg.
Le bilan est consternant. Selon cette commission, l'ancien président de l'IBU aurait obtenu entre 200 000 et 300 000 dollars de cadeaux de la part de responsables russes du biathlon. Il aurait reçu plusieurs montres de luxe et les services de prostituées lors de ses différentes venues de l'autre côté de l'Oural. On parle également de voyages tous frais payés, mais c'est encore une autre histoire, nous y reviendrons.
Les contreparties n'auraient pas uniquement consisté à couvrir les cas de dopage. Besseberg serait aussi intervenu pour garantir la participation des biathlètes russes aux JO de Pyeongchang et favoriser le site de Tioumen en Sibérie, candidat à l'organisation des Championnats du monde de biathlon. Il aurait également joué un rôle dans les exhibitions tenues à Moscou en dehors de la Coupe du monde.
Si aujourd'hui, Anders Besseberg est de retour sur le devant de la scène, c'est parce que son procès, qui affole les médias norvégiens, s'est ouvert le 9 janvier dernier.
L'ancien dirigeant mondial, mis en examen pour corruption aggravée de 2009 à 2018, fait face à un acte d'accusation comprenant dix avantages considérés comme «graves» et «inappropriés», notamment en raison de leur valeur et du rôle de Besseberg au sein de l'IBU.
Le Norvégien nie en bloc. Il plaide non coupable et conteste avoir reçu les services d'une prostituée dans une chambre d'hôtel en 2013. Ses explications? Une jeune femme aurait toqué à la porte. Il l'aurait laissée entrer, pensant qu'elle faisait partie du comité d'organisation, croyant qu'elle avait des informations à lui transmettre pour la journée suivante.
Besseberg l'aurait reconduite vers la sortie, s'apercevant qu'elle ne parlait pas anglais. Pourtant, le rapport de l'IBU indique que l'ancien président «a admis à la police avoir reçu les services de prostituées», fournies par le biais des dirigeants du biathlon russe. Il évoque aujourd'hui une erreur, précisant qu'il n'était pas en présence de ses avocats lors du tout premier interrogatoire.
Mais entre 2015 et 2018, le Norvégien aurait accepté, au moins à deux reprises, des offres similaires. Il qualifie cela de «vagues allégations», mentionnant une amitié avec une femme rencontrée en Russie, lors d'un dîner officiel. Selon lui, rien n'indiquait qu'il pouvait s'agir d'une prostituée. Cette dernière ne parlant pas anglais, il conversait sporadiquement avec elle, par l'intermédiaire d'un athlète olympique russe: Viktor Majgurov.
Anders Besseberg reconnaît avoir perçu plusieurs montres de luxe des mains de dirigeants russes, notamment un modèle Omega estimé à plus de 16'000 francs. Il conteste néanmoins les accusations de corruption, précisant qu'il n'était pas conscient de la valeur du présent.
Le Norvégien explique l'obtention d'une autre montre par un simple échange et reconnaît qu'il aurait dû insister davantage pour rendre ces tocantes (trois au total), même si selon lui, elles «n’étaient pas inappropriées», tant il a œuvré pour le biathlon.
Il aurait reçu des centaines de cadeaux durant ses mandats, sans qu'il y ait derrière des motifs de corruption. Il regrette de ne pas avoir assez réfléchi à l'éthique: «Il n'y avait pas de limite supérieure ou inférieure aux cadeaux que vous pouviez recevoir. Nous n'avions pas de telles règles» à l'IBU.
Il y a aussi des voyages, en Russie et République tchèque, plusieurs fois par an, lui permettant de s'adonner à l'une de ses passions: la chasse. Ceux-ci auraient été financés par APF Marketing Services GmbH et Infront Austria GmbH, deux sociétés intégrées au groupe Infront, dont le siège mondial est basé à Zoug. Besseberg présente une amitié avec le dirigeant d'APF, devenu actionnaire d'Infront. Mais puisque ces sociétés traitaient directement avec l'IBU au moment des faits, pour ce qui est de la commercialisation des droits TV, ces dernières auraient pu trouver un intérêt à ce que le biathlon poursuive son développement en Russie, un marché très lucratif.
L'affaire, complexe, traîne en longueur. Elle dure depuis plusieurs années et il faudra encore de longues semaines à la justice norvégienne pour comprendre les possibles arrangements, établis entre l'ancien président de l'IBU, le monde du biathlon russe et les sociétés avec lesquelles la fédération collaborait. Le procès se poursuit jusqu'au 16 février prochain et Anders Besseberg, dans le pire des cas, pourrait être condamné à une peine de dix ans de prison.