Lorsque Michael Hartweg a invité les parents à une soirée d'information à Einsiedeln en 2010 pour les informer sur la nouvelle section de biathlon du ski-club, il a réservé une grande salle. Il s'est trompé dans ses estimations. «Il y avait seulement quelques personnes», se souvient-il.
Un an plus tard, il a réitéré l'événement en réservant une salle plus petite. Il s'est à nouveau trompé: «On a été pris d'assaut!»
En fait, cette anecdote n'a rien d'anodin. Elle ressemble à celui qui la raconte: ce que Michael Hartweg entreprend grandit souvent assez vite. Si des épreuves de Coupe du monde de biathlon sont organisées de jeudi à dimanche à Lenzerheide (GR), une première en Suisse, c'est en grande partie grâce à cet entrepreneur de 51 ans. Son lien avec ce sport a débuté par une excursion familiale dans la vallée de Conches (VS).
Ayant grandi dans le sud de la Forêt-Noire, Michael Hartweg a toujours eu une affinité avec la Suisse et les sports d'hiver. Il a souvent été à Grindelwald ou Laax, même lorsqu'il étudiait l'économie et l'ingénierie à Karlsruhe. En 2007, lorsqu'il s'est lancé à la conquête du monde de la fintech depuis Zurich avec la start-up Leonteq, il a déménagé avec sa famille dans notre pays, à Wollerau (SZ).
Ce triathlète passionné a donné le goût du sport à ses deux enfants. Ils étaient présents à ses côtés lors d'un week-end de ski de fond avec le club de triathlon Zugerland à Goms (VS). Par hasard, ils sont tombés sur la manifestation «Kids Biathlon», combinant le ski de fond et la carabine à air comprimé. Les enfants Hartweg, Julia et Niklas, ont spontanément participé. La fille, l'aînée, a vite été conquise. Son frère, lui, l'a été durablement: Niklas Hartweg (23 ans) est aujourd'hui une figure emblématique du biathlon suisse, qui est en plein essor. La saison dernière, il est monté deux fois sur le podium de la Coupe du monde.
Alors que son fils s'accrochait à son hobby et s'entraînait à la carabine avec Amy Baserga – aujourd'hui également biathlète de haut niveau – devant l'entrée du garage, Michael Hartweg se demandait pourquoi il y avait si peu de structures de biathlon en Suisse. Les clubs de tir? Oui. L'intérêt pour le ski de fond? Oui. Alors pourquoi quasi rien en biathlon? «On n'y trouvait pas grand-chose», rembobine l'Allemand d'origine. Son mantra à l'époque était:
L'entrepreneur en lui s'est alors éveillé. Avec d'autres familles, il a fondé la section biathlon du ski-club d'Einsiedeln, convaincu du fort potentiel de ce sport à l'intérieur de nos frontières. «Au niveau international, le biathlon est une affaire énorme, avec des taux d'audience quatre fois plus élevés que le ski de fond, et même plus importants que le ski alpin», souligne-t-il. Alors oui, les événements de Coupe du monde sont une affaire lucrative.
Hartweg raconte ces histoires dans un espace de co-working à Zurich, où il a loué un local pour sa dernière start-up. Avec Jan van Berkel, ancien triathlète professionnel, il travaille sur l'application de suivi de fitness «Muuvr». Les idées fusent. Le Suisse d'adoption est enthousiaste, comme quand il a lancé Leonteq. «Nous étions fous, nous avons pris des risques, nous avons tout réinvesti», rembobine-t-il. La vente de sa part de la société il y a sept ans lui a permis d'amasser une grande fortune. Il continue à être actionnaire d'entreprises de fintech. «Il faut aussi de la chance», glisse-t-il.
Et justement, sa chance financière a été la chance de Lenzerheide. En 2005, il y avait des projets de construction d'un parcours international de biathlon. Hartweg, qui avait acheté un appartement de vacances dans la station grisonne, a financé l'infrastructure via Leonteq, convaincu de «l'aura» du projet.
«En Coupe du monde, Lantsch (réd: le lieu exact de la piste), de par sa belle situation, n'est comparable qu'à Antholz dans le Tyrol du Sud», s'enflamme-t-il. Mais les choses n'avançaient pas. Alors, dès 2012, l'entrepreneur a commencé à investir à titre privé.
Au total, il a mis des dizaines de millions de francs dans cette infrastructure, la Nordic House, y compris la restauration et l'hébergement. Mais il voulait que tout cela repose sur une large base, alors il a suivi une stratégie qui devait révolutionner le biathlon en Suisse: relève, infrastructure, compétition et sport de masse. Avec sa femme Carola Hartweg, il a aussi créé la fondation «Mission Biathlon». Jusqu'à aujourd'hui, celle-ci est soutenue par de nombreux donateurs et donatrices.
Michael Hartweg dit aujourd'hui que ses collaborateurs et lui ont «provoqué le système», l'ont titillé pour le faire se développer. Ils ont fait appel à des personnes de haut niveau comme Michael Greis, le triple champion olympique allemand, pour entraîner la relève. Ce faisant, ils ont aussi «challengé» la Fédération suisse de ski (Swiss Ski), en empiétant sur ses plates-bandes. «Tout le monde ne voyait pas cela d'un bon œil», se souvient le quinca. C'est à cette époque que Swiss Ski a eu l'envie (ou la pression?) de s'occuper du biathlon et de le renforcer dans les structures de la fédération.
Très tôt, il a été clair pour Hartweg que le financement de l'installation ne serait possible que par le biais de courses de Coupe du monde ou même de Championnats du monde. Des événements comme les Mondiaux juniors en 2020 ont permis au comité d'organisation local de se familiariser avec ces tâches. A l'époque, la Biélorussie ayant été exclue du calendrier pour des raisons politiques, les Championnats du monde 2025 ont été attribués à Lenzerheide avec une rapidité surprenante puis ce fut au tour des épreuves de Coupe du monde 2023.
Swiss Ski était depuis longtemps sur le coup. Hartweg avait besoin de la fédération parce que l'attribution des compétitions passait par cet organe et la fédé avait besoin de Hartweg car son installation, la Biathlon Arena Lenzerheide AG, lui appartenait. Mais il a fallu tout à coup créer en un temps record des relations claires entre l'Allemand d'origine et Swiss Ski, qui ont toujours bien coopéré, comme le disent les deux parties, mais qui ont toujours eu des approches et des rythmes différents.
A cette époque, la stratégie de Swiss Ski consistait depuis longtemps à organiser de grandes manifestations internationales dans le pays. La fédération a repris l'ensemble des installations, y compris la Nordic House. Un premier pas vers l'abandon de son «bébé» pour Michael Hartweg.
Ce dernier est resté au conseil d'administration de la Biathlon Arena Lenzerheide AG. Il s'est toujours battu pour que le comité d'organisation local soit impliqué dans les grandes manifestations.
Il y a toutefois un point sur lequel les visions de l'entrepreneur et de Swiss Ski divergeaient: la construction d'un autre bâtiment d'ici les Mondiaux de 2025. L'installation devait être entièrement consacrée au sport, tandis que la Nordic House aurait réuni uniquement la gastronomie et l'hébergement.
Hartweg était tout feu tout flamme. Mais Swiss Ski y a renoncé, même si l'idée est toujours sur la table avec la recherche d'une solution qui serait «une plus-value pour le tourisme, la population et le sport».
Michael Hartweg aurait aimé aller de l'avant et même ouvrir une nouvelle fois son porte-monnaie:
Le fait qu'il ait récemment quitté le conseil d'administration de la Biathlon Arena Lenzerheide AG n'est pas étranger à ce désaccord, même s'il n'a aucune rancoeur contre Swiss Ski. Cette première épreuve de Coupe du monde en Suisse est le bon moment pour lâcher définitivement son «bébé».
Et que se passera-t-il si, dans quelques années, Swiss Ski demande une aide financière pour le nouveau bâtiment? «Dans ce cas, je serai comme toujours à l'écoute.»
Adaptation en français: Yoann Graber