Guillaume Markwalder assistera aux demi-finales du tournoi de Gstaad ce samedi. Avec un peu de chance, il aurait pu y voir Yannick Hanfmann, finaliste dans l'Oberland bernois en 2017 (défaite contre Fognini). Mais cette année, l'Allemand sorti des qualifs a été éliminé en 8e de finale.
Son parcours n'en reste pas moins incroyable. Car Hanfmann est malentendant. Un handicap rare sur le circuit ATP dont est aussi atteint le Sud-Coréen Duckhee Lee.
Si les tennismen malentendants sont si peu nombreux au très haut niveau, c'est parce que leur invalidité est un gros obstacle dans ce sport. Guillaume Markwalder en sait quelque chose. Ce Lausannois de 31 ans n'est pas pro, mais sans faire beaucoup de compét', il a atteint un classement régional tout à fait honorable (R5). Toutefois, sa surdité sévère – il n'entend pas sitôt qu'il enlève ses appareils, et ce depuis sa naissance - l'a empêché de gravir la hiérarchie. Car l'ouïe est une arme importante dans l'anticipation du jeu, aspect crucial en tennis. «Le son des frappes des adversaires donne des indications sur les trajectoires de balle», analyse-t-il.
Un joueur malentendant peut aussi être trompé quand son adversaire «boise» son coup, c'est-à-dire qu'il centre mal sa frappe en touchant la balle avec le cadre de la raquette. Une situation qui ne poserait aucun souci aux tennismen lambda, qui font facilement la différence entre le son d'un cordage et celui d'un cadre. «Au fond du terrain, à plus de 23 mètres, c'est difficile à voir. Et quand la balle est boisée, elle prend souvent un effet ou une trajectoire bizarre», explique Guillaume Markwalder. Un joueur à l'ouïe défaillante n'a donc pas toutes les infos qui lui permettraient d'adapter son placement sur le terrain et sa préparation pour le coup suivant.
Autre souci, tactique cette fois. «On ne peut pas toujours observer ce que l'adversaire fait, notamment quand on est pris de vitesse», pose le Vaudois.
Issu d'une famille sportive, Guillaume Markwalder s'est tourné vers le tennis à l'âge de 15 ans, après plusieurs années de football. «On m'avait conseillé de privilégier un sport individuel étant donné mon handicap, car la communication avec les coéquipiers était difficile.» Le Lausannois troque les crampons pour la raquette avec succès. «J'ai tout de suite adoré!», sourit-il.
Il a la chance de rencontrer des partenaires et des entraîneurs compréhensifs et patients. C'est surtout en observant ces derniers qu'il acquiert une technique très propre:
Mais, au fait, joue-t-il en double? Il se marre. «Oui, et ça a amené des situations cocasses parfois!» Des exemples? «Quand je suis au filet et qu'on me lobe, je ne vois pas où est mon partenaire. Alors c'est arrivé qu'il me crie de laisser la balle parce qu'il était mieux placé que moi pour la frapper. En n'entendant rien, j'ai quand même joué la balle, parfois dans des positions très difficiles, et j'ai raté mon coup. On en rigole ensuite.»
Guillaume Markwalder, qui est détenteur d'un master en design industriel et qui exerce à 100%, voit quand même un avantage à être un tennisman malentendant:
De quoi rendre jaloux, sur cet aspect, pas mal de joueurs du dimanche et même certains pros (coucou Benoît Paire et Nick Kyrgios!) qui peuvent complètement sortir de leurs gonds (et de leur match) dès qu'ils entendent un papier se froisser dans le public.
Mais ne vous y trompez pas, c'est bien le seul point positif à être malentendant sur un court. Parce que la surdité amène des soucis parfois bien plus graves qu'une mauvaise évaluation des trajectoires de frappes de l'adversaire. «Jouer avec des appareils auditifs comme je le fais, c'est une vraie merde!», tranche le jeune Vaudois, qui a disputé cette saison les interclubs avec Epalinges, en 2e ligue.
Pour éviter pareils désagréments, Guillaume Markwalder prend des réserves dans son sac. «Heureusement, j'ai aussi la capacité de me remobiliser rapidement quand un incident de ce type arrive», se réjouit-il. Pour y arriver, il a dû faire un travail sur lui-même. L'expérience et la maturité l'ont évidemment aidé au fil des ans, mais le Lausannois a fait des efforts pour changer de philosophie, comme il en avait fourni durant son enfance pour réussir à s'exprimer oralement et déchiffrer sur les lèvres.
«J'ai dû apprendre à relativiser, à voir le tennis comme un moyen de prendre du plaisir», avoue-t-il. Cette bataille contre lui-même n'était de loin pas gagnée d'avance: «J'étais un joueur colérique, avec un esprit très compétiteur. Je me suis calmé, même si je crie encore parfois quand je rate des coups.» Il enchaîne:
Celle-ci a quelques fois été accentuée par le comportement de certains adversaires, «qui ont profité de manière sournoise» du handicap de Guillaume Markwalder, pour reprendre ses mots. «C'est arrivé quand ils servaient et que la balle était let en touchant la bande du filet», se souvient-il.
Pour éviter tout problème, le papa d'Emma, née en septembre dernier «et qui n'est heureusement pas malentendante», informe tous ses adversaires avant le match de sa surdité. Dans la grande majorité des cas, la situation n'engendre aucune confusion. «Mais parfois, les adversaires sont mal à l'aise, ils évitent les interactions par peur de faire faux ou par manque d'habitude», regrette le tennisman, qui avoue être extraverti et dont la chaleur humaine et la volubilité valident pleinement cette affirmation.
S'il apprécie que l'ATP et Swiss Tennis permettent à des joueurs malentendants – et à raison au vu des probants résultats de ceux-ci – de s'aligner sur des tournois pour personnes non-handicapées, Guillaume Markwalder souhaiterait que les instances sensibilisent davantage les tennismen et tenniswomen sur la surdité, via une newsletter par exemple. Histoire qu'ils puissent savoir comment se comporter quand ils affrontent des adversaires avec un tel handicap.
Ce samedi après-midi sur la terre battue de Gstaad, le Lausannois verra Dominic Thiem affronter Matteo Berrettini puis Caser Ruud se mesurer à Albert Ramos-Vinolas. Si Yannick Hanfmann avait été sur le terrain, c'est lui qu'il aurait soutenu. Pas par solidarité, mais «parce qu'il a montré aux personnes malentendantes que tout est possible».