Le label Demeter ne promet rien de moins que des aliments issus de «l'agriculture la plus durable qui soit». Pour cela, le travail en biodynamie suit des règles plus strictes que celles du standard bio. Au cœur de cette approche, l'idée qu'une ferme forme un circuit clos: le paysan n'élève que le nombre d'animaux qu'il peut nourrir avec le fourrage qu'il peut produire. La taille du cheptel détermine à son tour la quantité d'engrais disponible.
Les pesticides chimiques sont par ailleurs bannis de ce type d'agriculture. Cela permet aux sols cultivés d'abriter 60% d'organismes vivants supplémentaires par rapport aux champs conventionnels, souligne l'association. Ils produisent également 60% de gaz nocifs pour le climat en moins. Pour avancer ces chiffres, l'association s'appuie sur une étude au long cours de l'Institut de recherche de l'agriculture biologique (Fibl).
Pendant longtemps, les produits Demeter étaient réservés à une clientèle exclusive qui les achetait directement à la ferme ou dans les magasins diététiques. Les choses ont désormais changé: depuis que la grande distribution a intégré le label dans son assortiment il y a environ huit ans, de nouveaux groupes de clients s'en emparent. Coop affirme ainsi que le chiffre d'affaires de la gamme a plus que quintuplé depuis 2019. On trouve désormais environ 300 produits en rayon, de l'huile d'olive aux aliments pour bébés en passant par du fromage.
L'approvisionnement peut s'avérer compliqué, en particulier pour les produits importés. En effet, pour sa ligne Naturaplan, Coop certifie les marchandises Demeter également avec le bourgeon bio. Cela signifie par exemple que le riz basmati Demeter doit répondre aux deux cahiers des charges. Coop exige cette équivalence, car les normes Demeter diffèrent selon les pays. Les agriculteurs suisses Demeter peuvent, eux, automatiquement apposer le bourgeon sur leurs marchandises.
De son côté, Migros propose une sélection plus restreinte, avec environ 200 entrées. Mais elle affirme travailler «à l'extension régionale de certains groupes de denrées». L'autre géant de la grande distribution enregistre également une «croissance supérieure à la moyenne» de la demande.
La popularité croissante des produits Demeter interpelle d'autant plus que les aliments du label ne sont pas bon marché. C'est le cas du beurre. En supermarché, il en coûte généralement 1,54 franc les 100 grammes. Le beurre bio revient à 2,20. Et pour du Demeter, comptez 2,85 francs.
Alors que le renchérissement met fortement le marché bio sous pression, la clientèle Demeter semble moins sensible aux prix.
Pour les clientes et les clients, la qualité prévaut donc. Cela se reflète également dans les ventes à l'échelle nationale.
Il faut garder à l'esprit que Demeter en est encore au stade du commerce de niche. Le label peut donc miser sur un potentiel de développement plus important que celui du bio, largement établi. L'un des produits les plus appréciés de cette agriculture biodynamique est l'œuf. Ils coûtent certes 1,13 franc/pièce à la Coop, soit un peu plus que leurs cousins bio à 88 centimes. Mais selon les exigences Demeter, les volatiles se nourrissent d'aliments bio et vivent exclusivement en plein air. Sans compter que les poussins mâles ne sont pas tués à la naissance.
En outre, les prix des produits biodynamiques s'expliquent par le fait que les agriculteurs Demeter, en plus des strictes normes de bien-être animal, privilégient le travail manuel intensif. Ils appliquent aussi des pratiques qui peuvent paraître ésotériques. La plus connue est le fumier de corne. En automne, du fumier frais de vache est rempli dans des cornes et enterré dans le sol. Elles sont déterrées au printemps, le fumier est dilué et épandu dans les champs. Ce qui est censé revitaliser le sol.
Le Fibl n'a pu constater qu'à quelques occasions une réelle efficacité des pratiques biodynamiques sur le sol. Il reste ainsi une interrogation quant à savoir si c'est véritablement l'enfouissement des cornes de vache qui améliore la qualité du sol, ou si c'est plutôt l'interaction plus profonde de l'homme avec la terre à travers ce rituel qui produit des effets. Cette question demeure en suspens.
Toutefois, les agriculteurs Demeter restent convaincus de l'importance de ces pratiques. Verena Wahl se réfère à une récente étude de l'Université de Kassel, qui a observé que le fumier de corne, par exemple, avait un effet «significativement bénéfique sur l'activité respiratoire du sol».
Le boom de Demeter met en lumière les ressorts idéologiques souvent moins connus de l'agriculture biodynamique. Son maître à penser était l'Autrichien Rudolf Steiner (1861-1925) qui, il y a 100 ans, a exposé pour la première fois ses principes agricoles dans différentes conférences.
Rudolf Steiner suscite depuis des années des débats enflammés en raison des propos racistes qu'il a tenus en tant que penseur de l'anthroposophie. Il était un adepte des courants théoriques raciaux de son époque. Dans ses écrits, Steiner a élaboré une hiérarchie des races humaines, auxquelles il attribuait différents degrés de développement. Selon lui, l'Européen blanc était capable de spiritualité et d'intellect, tandis qu'il qualifiait l'homme noir d'«enfantin» et d'«instinctif». Une vision de laquelle Demeter Suisse se distancie.
Mais elle souligne aussi qu'il faut replacer la position de Steiner dans le contexte de l'ensemble de son œuvre. «Celle-ci ne peut en aucun cas être qualifiée de raciste». Une allusion à une commission d'enquête – mandatée par la Société anthroposophique des Pays-Bas – qui s'est penchée sur les origines racistes de l'anthroposophie. «Les experts y sont arrivés à la conclusion que le racisme n'était pas une composante essentielle.»
Malgré tout, l'héritage ténébreux de Steiner ne devrait pas impacter négativement les ventes de produits Demeter. Pour la clientèle d'aujourd'hui, le bien-être des animaux et l'écologie sont au premier plan – et tant pis pour l'histoire.
(Adaptation française: Valentine Zenker)