La cinquième commission d'enquête parlementaire (CEP) de l'Histoire suisse va bel et bien avoir lieu. Cet outil très spécial du Parlement destiné à faire toute la lumière sur un évènement exceptionnel lié au monde politique va être lancé prochainement. Objectif: savoir ce qui a mené à la débâcle de Credit Suisse, rachetée en urgence par UBS sur ordre des autorités, en mars dernier.
Dernier épisode en date d'une longue série de validations: le Conseil des Etats a entériné, jeudi matin, le vote final permettant son lancement.
Au menu: quatorze politiciens nationaux, une moitié du Conseil national et l'autre partie issue du Conseil des Etats. Plusieurs politiciens se poussent déjà au portillon pour en être membre, voire s'emparer de sa présidence.
Pascal Sciarini, professeur en sciences politiques à l'Université de Genève, nous aide à analyser la situation: «La validation de cette commission par les deux chambres est un phénomène rarissime, d'autant plus avec un Conseil national qui vote pour à l'unanimité». Le politologue note un autre élément intéressant: un National unanime et des Etats quelque peu divisés (37 voix pour, 5 contre), c'est le contraire de ce qu'on constate habituellement.
«Ce que je trouve intéressant, c'est que cette commission va peut-être remonter très loin dans le temps pour comprendre les causes de cette débâcle», explique le professeur de l'Université de Genève. Qui se pose la question: «Elle va revenir sur des mois entiers, voire des années en arrière. Va-t-elle aller jusqu'en 2008, lors du sauvetage d'UBS par la Confédération? Il y a tout un champ possible.»
Quid des candidats qui postulent pour entrer dans la CEP? «Le PLR indique qu'il ne va pas viser la présidence à cause de l'importance de Karin Keller-Sutter dans l'affaire. L'UDC pourrait faire de même à cause de Ueli Maurer.»
A l'image de la Fribourgeoise Isabelle Chassot, comme le suggèrent les rumeurs à Berne et l'hypothèse de 24 heures? Si elle accède à ce poste, cela en fera la première Romande, mais aussi la première femme à la tête d'une CEP.
Et les Verts, alors? «Leur argument, c'est que leur non-présence au Conseil fédéral leur permet de rester impartiaux. C'est habile de leur part, car ils sont frustrés de ne pas y être et y réclament un siège depuis quatre ans.»
La présidence à la tête d'une CEP peut-elle aussi être un tremplin pour une personnalité politique, et ce même jusqu'au Conseil fédéral. «Je vois deux exemples qui pointent dans cette direction. Tout d'abord, Kurt Furgler (PDC/SG), président de la toute première CEP sur l'affaire des Mirages, devenu conseiller fédéral en 1971. Et puis, Moritz Leuenberger (PS/BE), le prédécesseur de Simonetta Sommaruga, président de la CEP concernant l'affaire Elisabeth Kopp.»
Le politologue précise pour autant que la présidence d'une CEP n'assure pas une place au Conseil fédéral. D'ailleurs, aucun des présidents des deux dernières (liées au scandale des fiches et de la caisse de pension de l'Etat) n'ont vu leur président accéder à l'exécutif suprême.
«Cela va donner accès à une notoriété évidente, surtout si la CEP aboutit à des résultats. Et puis, comme disent les économistes, ce qui est rare a de la valeur.» Et en effet, l'occasion est encore plus rare de pouvoir être président d'une CEP que conseiller fédéral.
Pour autant, quelles conséquences pourraient découler de cette CEP? En effet, cette enquête sera organisée de manière purement politique et n'aura pas d'impact juridique direct. «C'est difficile à envisager à ce stade», indique le politologue. «Mais on peut imaginer des réorganisations administratives ou une refonte des rôles dans la structure des administrations.»
Il note: «Le Conseil fédéral a d'ailleurs la possibilité de s'exprimer sur le mandat pour émettre un désir ou un souhait, qui peut être repris ou non par la CEP. Il est donc aussi concerné par ces processus, bien qu'à titre consultatif.»
Il n'empêche, des réorganisations importantes, cela a déjà eu lieu par le passé. «Après l'affaire des Mirages, au début des années 1970, ce qui était alors le Département militaire fédéral a été profondément remanié. On peut même penser que les réformes de l'armée ont été influencées par ce remaniement. Et après l'affaire des fiches et de la P26, les services de renseignement ont aussi été impactés.»