Pour circuler sur les autoroutes suisses, il faut s'armer de patience. Chaque année, le trafic s'engorge pendant près de 40 000 heures. Et les prévisions de la Confédération dressent un tableau sombre: d'ici 2040, plus de 450 kilomètres de réseau seront régulièrement surchargés.
Alors, que faire? Sous la Coupole fédérale, une chose est claire: il faut plus d'argent pour l'extension des autoroutes. En septembre, le Parlement a décidé d'investir cinq milliards de francs à moyen terme pour des projets le long du Léman, ainsi qu'à Bâle, Berne, Saint-Gall et Schaffhouse.
Mais aujourd'hui, la résistance s'organise. Sous la houlette de l'Association Transports et Environnement (ATE), un large front d'associations environnementales déclare la guerre à la «folie des constructions autoroutières». Ce jeudi, il dépose un référendum contre le crédit prévu de plusieurs milliards.
Les électeurs auront donc le dernier mot. La majorité bourgeoise était pourtant prévenue: lors des débats, des représentants du camp rose-vert avaient fait planer la menace du référendum en cas d'acceptation du projet.
Les fronts sont aussi clairs au Parlement que l'issue du vote est ouverte. La position des agriculteurs pourrait être décisive. Si les projets autoroutiers voient le jour, le monde paysan perdra des terres cultivables et il est déjà monté aux barricades par le passé. On se souvient, par exemple, de l'action des exploitants soleurois qui, en 2019, avaient protesté contre l'extension de l'A1 en allumant des feux et en écrivant une lettre cinglante à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.
Le conseiller national UDC bernois Hans Jörg Rüegsegger a une impression de déjà-vu. En tant qu'ancien président de l'Union des paysans de son canton, il a combattu pendant des années le grand projet controversé de Grauholz, qui fait aussi partie de l'étape d'aménagement. A l'époque déjà, il s'opposait à son parti. Interrogé par la Bauernzeitung, il affirmait:
Aujourd'hui encore, l'agriculteur Rüegsegger critique l'élargissement de l'A1 à huit voies entre Wankdorf et Schönbühl (région de Berne). Il redoute la perte de précieuses surfaces cultivables et craint aussi qu'aucun mètre carré retiré ne soit compensé:
Selon Rüegsegger, la seule solution envisageable serait un tunnel souterrain. Mais c'est un vœu pieux. L'Office fédéral des routes (Ofrou) avait informé le canton de Berne il y a des années déjà qu'un tunnel coûterait trop cher.
L'élu UDC refuse de parler d'une extension inévitable à cause des embouteillages. Il réfute l'argument que cela est essentiel pour l'économie. «Nous devons nous éloigner de cette mentalité 24h/24 et 7j/7 qui consiste à vouloir aller partout à tout moment». Pas étonnant alors que la position officielle de la direction de son parti s'éloigne quelque peu de ses propos. D'ailleurs, le conseiller national UDC schwyzois Marcel Dettling juge:
Lui aussi agriculteur, il voit la racine du problème dans l'immigration des dernières décennies. «Chaque migrant renforce la pression sur les terres. Quelle hypocrisie que les forces politiques qui justement prônent l'ouverture des frontières soient aussi celles qui torpillent l'extension!», s'indigne Dettling.
L'Union suisse des paysans (USP) a un rôle particulier à jouer. L'issue de la votation dépendra en effet de la position de la puissante association. Son président, Markus Ritter le sait pertinemment, lui aussi. «Le point de vue des agriculteurs aura beaucoup de poids», déclare le conseiller national saint-gallois du Centre. Ce ne sera pas une simple affaire de oui ou de non:
Et il ne faut cependant pas négliger le revers de la médaille. «Nous devons également garder un œil sur l'économie dans son ensemble», souligne Ritter:
Ce que Ritter ne dit pas, c'est qu'il y a deux ans, son association a conclu avec les milieux économiques l'alliance stratégique «Perspective Suisse» – surnommée par la gauche «l'alliance argent et purin».
Outre l'USP, ce pacte rassemble Economiesuisse, l'Union patronale suisse et l'Union suisse des arts et métiers. Si ces quatre associations tirent à la même corde lors d'une campagne de votation, les opposants auront du mal à s'en sortir. Le président d'Economiesuisse, Christoph Mäder a clairement formulé ses attentes:
Mais pour Markus Ritter, c'est sur la question de la surface agricole utile que tout se jouera. «Ce sera une bataille de mètres carrés.» Aujourd'hui, on sait seulement qu'il faudra renoncer à 30 hectares de surface d'assolement – dont les terres arables, les plus précieuses en termes d'agriculture. Cela correspond à 42 terrains de football. L'Office fédéral des routes (Ofrou) communiquera les chiffres détaillés au printemps.
Le président de l'ATE, Ruedi Blumer espère un soutien percutant des paysans. «Nous essayons de mettre l'USP, ou certaines sections cantonales, de notre côté», déclare-t-il. «Des discussions ont déjà eu lieu avec certains agriculteurs. Peut-être parviendra-t-on au moins à ce que l'Union suisse des paysans laisse la liberté de vote à ses membres.» Selon Blumer, une section cantonale l'a fait en mars dernier, lorsque les citoyens bernois se sont prononcés sur le contournement d'Aarwangen.
Les organisations environnementales sont au moins parvenues à convaincre le syndicat paysan Uniterre et l'Association des petits paysans. Rien de surprenant puisque tous deux se situent plutôt à gauche sur l'échiquier politique. Le conseiller national Kilian Baumann (Vert/BE), qui préside l'Association des petits paysans rappelle:
Et il termine: «Il est donc inadmissible que l'on bétonne encore davantage notre outil de travail principal, celui qui nous fait vivre».
Adaptation française: Valentine Zenker