Tous les quatre ans, c'est les élections fédérales. Ce dimanche 22 octobre, les jeunes qui ont atteint leur majorité depuis les dernières élections pourront voter pour la première fois pour élire l'Assemblée fédérale.
Une génération qui a grandi avec le numérique, qu'il s'agisse de Tiktok, Instagram, Twint ou l'appli CFF. Pourtant, c'est bien avec un stylo et sur du papier old school que nos jeunes viendront cocher les cases des partis ou candidats qu'ils veulent faire élire. Et cette question que j'ai entendu de la part d'une jeune votante:
La question est parfaitement légitime. Et la réponse est simple: non, on ne peut pas. Mais pourquoi? On vous l'explique avec l'aide de Pascal Sciarini, professeur de sciences politique à l'Université de Genève et membre du groupe d'experts sur le Vote électronique.
La question du vote électronique est évoquée dès la fin des années 1990, alors que le web est en pleine expansion. Ce sont alors les Suisses de l'étranger qui le réclament. Ce droit fondamental démocratique leur était réservé à condition de se rendre dans une ambassade ou un consulat helvétique et la situation était difficile pour ceux qui vivaient loin (voire très loin) d'une capitale ou grande ville. En 1992, le vote par correspondance est introduit pour eux. Une amélioration très importante, mais qui ne va pas sans quelques couacs:
Le sujet arrive sur la table du Conseil fédéral qui mandate, en 2002 déjà, la tenue d'essais pilotes. Ceux-ci seront menés à Genève, à Neuchâtel et à Zurich. Les premiers d'une longue série. A l'époque, on se veut optimiste et on imagine que, d'ici à la fin de la décennie, le vote électronique sera une réalité.
Mais aucun des systèmes de vote en ligne ne satisfait toutes les exigences de la Confédération. Et ce malgré des succès dans plusieurs cantons, comme à Genève, où «l'ensemble de la population a déjà pu voter par Internet». Mais les développements coûtent tellement cher que le canton décide d'abandonner.
Plusieurs systèmes de vote sont en concurrence. Celui proposé par La Poste émerge comme le favori. Mais, début 2019, des hackeurs white hat (qui testent les failles) découvrent qu'il est possible de pirater massivement le système. C'est la douche froide:
L'ex-régie fédérale fait son mea culpa et retravaille son système de fond en comble. Fin 2021, elle revient avec un procédé sûr et propose un pari: le hacker qui arrivera à exploiter une faille du système recevra 30 000 francs. C'est un succès: aucun white hat ne réussit.
En 2023, La Poste annonce le retour de son système de vote électronique. Il sera utilisé le 22 octobre prochain pour les Suisses de l'étranger dont l'origine se situe dans ces trois cantons et qui pourront voter, pour le Conseil national uniquement:
«Le vote électronique n'a pas vraiment produit un saut qualitatif majeur si on le compare au système de vote par correspondance, facile à utiliser et qui a fini de s'étendre à toute la Suisse dans les années 1990», indique Pascal Sciarini. «Il remplit d'ailleurs en bonne partie le rôle du vote à distance», précise le professeur, qui ajoute au sujet du vote électronique, un peu dépité:
Pour autant, l'application générale du vote par internet pourrait profiter à certaines parties spécifiques de la population. «Si nos recherches montrent que le vote électronique n'a pas d'influence globale sur le résultat des votations, il favoriserait le vote pour des segments précis de la population dont le taux de participation est particulièrement bas, ce qui est une très bonne chose», explique le professeur genevois. En premier lieu: les Suisses de l'étranger. En 2023, ils comptabilisent près de 800 000 personnes, soit 10% de la population. Un pourcentage très loin d'être négligeable.
Mais c'est aussi la situation de certaines personnes en situation de handicap, pour qui aller poster son vote à distance dans une boîte à lettres peut s'avérer être une véritable épreuve.
Les personnes aveugles et malvoyantes le réclament aussi. Elles ne peuvent pas voter sans l'aide d'un tiers, qui doit leur lire le contenu de la lettre et parfois cocher les cases à leur place. «Cela viole le secret du vote, pourtant garanti par la loi», expliquait récemment la Fédération suisse des aveugles et malvoyants au Temps. Et puis, il y toutes ces personnes qui peuvent voter «normalement» mais profiteraient tout de même bien du vote électronique:
Pascal Sciarini balaie pourtant l'hypothèse des jeunes qui voteraient plus s'ils pouvaient le faire en ligne ligne: «Pour pousser les jeunes à voter, il y a un travail de communication à faire en amont, mais le mode du vote n'est pas si important.»
La réduction des coûts serait aussi plus intéressante avec le vote électronique. «Si le système fonctionne correctement, le résultat du dépouillement a lieu en cinq minutes, qu'on fasse voter 100 personnes ou un million. Jusque-là, on va continuer à compter à la main. Un représentant du canton de Zurich (réd: 1,6 million de personnes) m'a un jour dit que cela leur ferait économiser plusieurs millions de francs à chaque votation», relate le politologue.
«La sécurité, tout simplement», explique Pascal Sciarini, tout de go. Mais qu'est-ce qui distingue une manipulation du vote électronique (un hacking, donc) de celles du vote papier? Le politologue précise:
«Pour cette raison, les conditions techniques et sécuritaires doivent être très strictes», indique Pascal Sciarini. Et force est de constater que nous n'y sommes pas encore. «Il faut avoir la garantie d'avoir un coup d'avance sur les hackers» analyse le professeur de l'Unige. Car on arrive bel et bien ici au cœur de la question: on ne badine pas avec les votations.
C'est bien connu: pour savoir si on fait quelque chose de faux ou de juste, rien de tel que de jeter un coup d'œil aux voisins, même éloignés. Et sur la question du vote électronique, un constant s'impose: bien des pays ont tenté le coup et se sont cassé les dents — sur les questions de sécurité ou d'informatique notamment.
Le Canada et les Pays-Bas l'ont fait dans les années 2000, avant de revenir en arrière. En France, des tentatives pour faire voter les citoyens français de l'étranger à l'élection présidentielle de 2022 ont été un fiasco car le système ne faisait que de «planter», explique Le Monde. Seuls 17,5% des votants avaient pu voter au premier tour, un pourcentage à comparer à la participation de 65% en France métropolitaine.
Seule exception notable: l'Estonie. Dans ce pays balte, le vote électronique y est possible pour les élections législatives depuis 2007, indique Franceinfo, qui explique que lors des dernières votations, 51% des électeurs ont utilisé cet outil.
Mais ce petit pays balte de 1,3 million d'habitants (la Romandie compte 2,2 millions d'âmes, pour rappel) est un peu l'exception mondiale. Pascal Sciarini est, toutefois, optimiste sur la suite des développements et est certain que le vote électronique sera une réalité, le moment venu:
«Genève, où des dizaines de votes en ligne ont eu lieu, a acquis une grande expérience dans le domaine», explique le professeur. «Je pense que la Suisse va aller dans cette direction. C'est ce que nous, experts, souhaitions dans le rapport transmis en 2018 au Conseil fédéral.» Et de conclure: