Nouveau rebondissement dans le procès des six policiers vaudois dont les actes sont suspectés d'avoir entraîné la mort du Nigérian Mike Ben Peter: le procureur Laurent Maye a décidé de laisser tomber les chefs d'accusations d'homicide par négligence.
Une telle action peut surprendre, mais le procureur a parfaitement le droit de plaider en faveur ou contre les accusés, et ne change en rien le caractère final du verdict rendu par le juge. Mais ce qui semble être un retournement de situation arrive pourtant régulièrement dans les tribunaux. Pour en savoir plus, watson a contacté un procureur romand, qui a accepté de nous répondre sous couvert d'anonymat.
Notre magistrat nous explique les enjeux du job: «Il faut savoir que le procureur a deux fonctions. Premièrement, diriger l’instruction, durant laquelle on recueille les preuves. A l'issue de celle-ci, soit il classe l'affaire, soit il la renvoie devant le tribunal et c'est le juge qui prend le relai.» Et ensuite? «Là, le procureur change de casquette et devient partie à la procédure. Il peut alors prendre position.»
Ce que Laurent Maye a fait, lundi dernier. Mais pourquoi a-t-il décidé de faire passer l'affaire au tribunal pour ensuite plaider en faveur des policiers? La décision de classer ou non l'affaire et la conviction du magistrat que ceux-ci sont coupables ou innocents sont deux choses différentes, décrypte notre expert.
Le magistrat analyse: «Pour autant, ce n'est pas un revirement de dernière minute. Il savait certainement, déjà au moment où il a dressé l’acte d’accusation et renvoyé l’affaire au tribunal, qu'il allait requérir l'acquittement.»
Mais la sensibilité et la médiatisation de l'affaire ne sont toutefois pas la seule raison, selon notre intervenant, à pousser le procureur à engager le cas au tribunal. «Il est certain que l'avocat de la famille de la victime allait vouloir un procès devant le tribunal et ferait recours en cas de classement», dit-il, «avec de fortes chances de succès à ce stade précoce de la procédure». Il conclut:
Selon notre magistrat, Laurent Maye a donc préféré prendre lui-même l'initiative pour mieux contrôler la situation. Pour autant, il estime que le procureur vaudois a tout fait juste: «Ce procès était inévitable, mais le réquisitoire du ministère public est parfaitement cohérent.»
Un geste d'autant plus fort au vu des enjeux de ce procès et de l'ambiance lourde qui pèse sur la cour de Renens, empreinte d'accusations de racisme systémique entourant la police vaudoise et la société en général.
Alors, quel est le pronostic de notre procureur mystère au sujet du verdict? Il se montre assez catégorique:
«Mais ce n'est pas mathématique», tient-il à préciser. «Le tribunal est libre de décider ce qu'il veut et ne pas suivre les conclusions du procureur.» Une situation d'autant plus difficile pour Simon Ntah, l'avocat de la famille de Mike Ben Peter, qui se retrouve à deux contre un, pourrait-on dire, avec face à lui les accusés et leur défense ainsi que le procureur?
Pourrait-on comprendre que le procureur, qui a deux casquettes (il instruit l'enquête avec la police puis défend le dossier devant le tribunal), aurait des accointances avec la police? Une accusation parfois envoyée à la volée, à laquelle notre interlocuteur n'est pas indifférent. Il répond, selon une expression consacrée, qu'un «procureur qui fait son boulot doit instruire à charge et à décharge»:
Aurait-il fallu faire appel à des tiers pour instruire une affaire qui touche à la police, comme un procureur d'un autre canton? «Dans un monde parfait, on pourrait imaginer que ce soit le procureur d’un autre canton qui soit désigné, mais franchement, en pratique, ce serait invivable.»
Au final, on a également posé la question qui fâche: en cas de verdict ou non, la police va-t-elle revoir ses méthodes de contrainte? Notre procureur répond par la négative: «La technique de maîtrise des policiers face à un prévenu virulent est la technique apprise dans toutes les écoles de police. Rien dans ce qui a été décrit ne me surprend, n'en déplaise à l'avocat de la partie plaignante.» Il conclut:
Il développe: «Sinon, imaginez-vous: dès que les policiers veulent interpeller un individu qui résiste, s'ils ne peuvent pas utiliser de moyens de contrainte, il suffit que celui-ci dise "non" pour rentrer à la maison? C'est ridicule.»
Le verdict de l'affaire sera prononcé jeudi.