Depuis vendredi, les boîtes de nuit, les cafés-restaurants et toutes les entreprises qui accueillent du public font face à un sacré dilemme. Le Conseil fédéral leur a fait une drôle de proposition: s'ils bannissent les non-vaccinés testés de leur établissement, ils peuvent laisser tomber le masque et certaines autres mesures. C'est la première apparition de la règle 2G en Suisse.
Déjà utilisée en Allemagne et en Autriche, cette pratique consiste à limiter le certificat Covid aux seules personnes vaccinées et guéries. Exit donc les non-vaccinés qui se font tester. Mais cette stratégie est-elle vraiment efficace et faut-il l'appliquer en Suisse? Voici les réponses.
«Je viens de me faire tester donc j'ai moins de chance de propager le virus que les vaccinés qui peuvent quand même le transmettre». Voilà un argument régulièrement entendu chez les non-vaccinés. «La sensibilité d'un test est moins bonne que l'efficacité du vaccin», rétorque Philippe Eggimann, président de la société médicale de Suisse romande. Son confrère Didier Trono, virologue à l'EPFL, confirme:
Aux yeux des deux experts, la 2G fait donc tout à fait sens d'un point de vue médical. Philippe Eggimann rappelle, par ailleurs, que les non-vaccinés ont plus de chances d'attraper le virus, de développer une forme grave et donc de contribuer à l'engorgement d'un système hospitalier déjà surchargé.
Là encore, Didier Trono approuve. «Selon les chiffres de l'OFSP, les non-vaccinés ont presque 15 fois plus de chances d'être hospitalisés et 30 fois plus de mourir. Les non-vaccinés vont provoquer un débordement de nos unités de soins intensifs, et en bloquer l’accès à des patients souffrant d’autres pathologies.» Ainsi, aucun doute selon lui:
Didier Trono est convaincu qu'il est temps de mettre en place la 2G chez nous également. «Nous sommes dans une situation extrêmement mauvaise. Le discours politique visant à flatter les non-vaccinés n'est plus acceptable, car il suggère que la non-vaccination est un choix d’ordre purement philosophique», affirme le virologue.
Philippe Eggimann va dans le même sens, mais nuance. Tout en assurant que toutes les restrictions permettant de limiter la circulation du virus sont bonnes à prendre, il précise: «D'un point de vue épidémiologique, la 2G n'est probablement pas la priorité. L'urgence, maintenant, c'est de mettre des masques partout, d'accélérer sur la 3e dose et de convaincre ceux qui ne sont pas encore vaccinés.» Le président de la société médicale de Suisse romande poursuit:
Mais de ce point de vue là aussi, la 2G pourrait s'avérer utile. «C'est une mesure qui est surtout socio-politique. Elle est intéressante parce qu'elle permet de mettre la pression sur les non-vaccinés», observe Philippe Eggimann.
Alors que les dernières décisions du Conseil fédéral ont plutôt eu tendance à gommer les différences de traitement entre ceux qui sont passés par la case piqûre et les autres, la stratégie pourrait également avoir un autre point positif:
Pour l'heure, le Conseil fédéral n'a pas imposé la règle des 2G en Suisse, il s'est contenté d'offrir aux entreprises la possibilité d'exclure les non-vaccinés si elles le souhaitaient. Philippe Eggimann regrette un manque de courage: «Ils jouent avec le feu. Vous vous rendez compte des dégâts sociétaux et économiques si on doit reconfiner? Une catastrophe.»
Pour lui, la justification de ce choix est à chercher du côté du porte-monnaie:
Politologue à l'Université de Lausanne, Oscar Mazzoleni confirme que les autorités cherchent à déléguer les mesures les plus impopulaires aux cantons et aux entreprises privées. «Ces derniers mois, il y a eu des mobilisations contre les restrictions et une minorité importante s'est opposée à la loi Covid. Cela explique pourquoi le gouvernement s'est montré timide», analyse le spécialiste.
Selon lui, ce n'est pourtant pas une question de courage. «Ils ont conscience que s'ils exagèrent avec des solutions trop unilatérales, la population ne va pas les suivre.» A ses yeux, les autorités cherchent, en réalité, à ne pas renforcer la fracture entre les opposants et les institutions et entre vaccinés et non-vaccinés.
Pour le virologue Didier Trono, il n'est pourtant plus l'heure de tourner autour du pot. «Il faut mettre sur la table le débat sur la vaccination obligatoire dès maintenant. Pas dans six mois quand on aura encore perdu des centaines de personnes et compromis le développement personnel de milliers d’enfants.»